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n’ont été dirigés avec plus d’adresse, et jamais ils n’ont connu une pareille affluence de spectateurs. Et cependant l’atonie dans laquelle ils sont plongés ne cesse pas ! L’état du théâtre nous enseigne donc ce lieu-commun, qui est toujours une vérité nouvelle, c’est que dans les choses de l’intelligence il est absolument impossible de se passer de l’intelligence, et qu’il n’y a pas de combinaisons ingénieuses qui puissent remplacer le talent dans les entreprises qui réclament son concours. Ayez de bons auteurs et de bons comédiens, et la crise cessera peut-être… Malheureusement la recette que j’indique est difficile à employer, car il n’y a pas de moyen connu pour produire et créer le talent à volonté. Hier encore j’assistais à une conversation où l’un des interlocuteurs, en jetant en arrière un regard sur sa vie déjà longue, constatait qu’aucun des héritages des grands acteurs qu’il avait connus, depuis Talma jusqu’à Mlle Rachel, n’avait été recueilli ; sa conclusion était naturellement que le talent, dont on fait si bon marché lorsqu’on le possède et dont oh croit pouvoir si aisément se passer, ne se remplace jamais. L’état actuel du théâtre a au moins ce mérite négatif de nous faire sentir la valeur de ce que nous n’avons plus.

Dans cette disette de talens, que peuvent faire les directeurs de théâtre ? Ce qu’ils font : se tirer d’embarras au moyen d’expédiens et de palliatifs qui poussent de plus en plus l’art dramatique vers sa décadence, il est vrai, mais qui ont au moins le mérite de sauver leurs recettes, donner des reprises et des pièces à spectacle. On s’est beaucoup élevé, et avec raison, contre ces deux abus (car ce sont des abus véritables) et particulièrement contre les reprises. Cependant, de ces deux abus, le second seul nous paraît réellement blâmable ; quant au premier, il s’explique trop facilement par la disette littéraire régnante. Il est très évident que cette fièvre de reprises n’existerait point, si les directeurs de théâtre pouvaient monter des pièces dont le succès fût à peu près certain ; mais, de bonne foi, que veut-on que devienne un directeur de théâtre entre un public qui demande qu’on l’amuse et des auteurs qui n’amusent ni n’intéressent le public ? Il va chercher dans le répertoire dramatique des pièces qui peuvent attirer la foule, plutôt que de faire, à ses risques et périls, des expériences dont le résultat le plus clair serait de le ruiner. Il compare le chiffre de représentations auquel atteint telle reprise, et les recettes qu’elle lui donne, avec le chiffre de représentations et les recettes de telle pièce nouvelle sur le succès de laquelle il avait cru pouvoir compter. Après plusieurs expériences répétées, il remarque qu’il existe en faveur des reprises une différence énorme, et alors il n’hésite plus. Est-il donc si coupable ? On donne encore des pièces nouvelles ; comptez celles qui réussissent