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couvert de plumes fauves, s’est mis à danser sans quitter ses crotales ; ses compagnons, lui marquant le pas, sautaient sur place de la plus étrange façon. Le soliste, qui avait commencé par piétiner en mesure, s’est animé peu à peu, a fait des pirouettes effroyables en arrière, sur chaque pied alternativement, lançant de temps à autre ses jambes à la hauteur de sa tête. Cette rage cesse tout d’un coup, il ôte son chapeau emplumé, se campe fièrement et réclame les dons des spectateurs attirés aux fenêtres.

Mais j’ai vu ce soir une autre cérémonie à laquelle je confesse n’avoir rien compris du tout. J’étais avec quelques personnes invitées à voir danser et à entendre chanter dans une maison mauresque. Je les suis sans m’informer de rien, et toujours cherchant fortune de peintre et de curieux. Nous sommes reçus par une Mauresque très blanche et très peu vêtue, que je reconnais pour l’avoir vue présentant une requête chez la vieille Kadidjah : elle venait ce jour-là emprunter des bracelets de jambes qu’on lui refusait poliment. Elle parle assez bien français et s’appelle Mosna. C’est la seconde fille de la femme chez qui nous étions reçus. Je lui demande si la mère Kadidjah et ses filles sont de la soirée. « Oh ! non, répond la Mauresque d’un air candide ; c’est ici mauvaise maison, elles ne viendraient pas ici ; lalla Kadidjah et ses filles, honnêtes femmes, je les connais bien. Vous leur présenterez le selam pour moi. » Premier étonnement : les femmes de mauvaises mœurs vont chez les honnêtes femmes ! Il est vrai que ces femmes-là ne sont pas méprisées ici comme chez nous. Les indigènes ont pour elles des égards qui nous étonnent.

Allons toujours, et voyons les danses. On nous fait entrer dans une petite salle où l’on nous sert le café en nous priant d’attendre. Attendre quoi ? Je l’ignore, car nous ne demandions que le spectacle de la fête, et la fête allait son train au-dessus de nous, les chants, les instrumens et les you, you. Au bout d’une demi-heure écoulée sans que rien paraisse, nous montons à tout hasard, et, dans une de ces longues chambres dont je t’ai parlé, nous tombons sur une réunion mystérieuse de vieilles femmes. L’une d’elles, couchée sur un lit très élevé et posée en impératrice romaine, présidait ce conclave, qui semblait lui rendre hommage. Trois ou quatre de ces sibylles, assises au pied de l’estrade, fumaient des cigarettes sans rien dire. Deux autres jouaient d’un tambour de basque assez semblable à un crible, au-dessus d’un réchaud allumé. Une troisième, énormément grasse, et qui était la femme d’un marabout (que diable faisait-elle dans ce mauvais lieu ?), frappait avec fureur sur deux tambours et donnait le ton du chant. Enfin la dernière, aussi sèche que possible, tenait dans les doigts de sa main gauche deux petites