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destinés à entourer la natte qui rassemble tous les cheveux, et dont les bouts doivent pendre jusqu’aux talons.

Du fond de l’immense panier sortirent aussi deux sébiles d’or, une cuiller d’argent et un petit miroir monté en acajou. Pas de lingerie dans cette corbeille ; les femmes d’ici ne connaissent pas l’usage des chemises. Les Mauresques ont adopté le coton pour leurs pantalons, mais les Juives ne portent rien de rien sous leur jupe, qui descend jusqu’aux pieds et traîne par derrière.

En sortant de cette fête, j’ai voulu voir la petite Ayscha, que j’avais laissée avant-hier avec un fort mal de gorge et la fièvre, couchée par terre, enveloppée de couvertures, lançant des regards farouches, refusant de répondre et de rien prendre, un véritable animal malade. J’avais envoyé chercher de l’eau sédative et lui avais enveloppé le cou d’un linge imbibé de la panacée Raspail, la menaçant de la battre si elle résistait. Aussitôt la menace faite, la révolte s’était changée en une obéissance canine. La panacée a fait merveille, l’enfant est guérie et me regarde avec un respect craintif. La vieille Kadidjah s’écrie : « Toi médecin ! toi pas dire ! toi grand médecin (thaheb kebir) » Je raconte ma noce hébraïque à Zohrah, qui se met à imiter très joliment et très drôlement la danse pudique et endormie des Juives, après quoi, selon l’usage des Maures, elle crache en signe de mépris pour les Juifs. Je me retire, béni par la maman Kadidjah, qui m’appelle son fils et me déclare que je suis le sidi de sa maison.

Au café d’Apollon, rencontre et reconnaissance d’un brave camarade de collège, de Norvins, capitaine au 1er zouaves, laissé pour mort sur le champ de bataille, mais aujourd’hui bien vivant et prêt à rendre avec usure les coups de yatagan qui lui ont labouré le crâne.

16 juin. — Départ à six heures du matin avec un enfant très gentil, passionné pour l’entomologie. Nous avons exploré jusqu’à six heures du soir la plaine de la Mitidja. Nous nous sommes perdus souvent dans les lentisques, le long des blés. Pas d’arbres dans la région parcourue, horizons rapprochés, arbustes et plantes basses, marécages, beaucoup de fleurs, sentiers tracés par les troupeaux. Cela rappelle assez les formes ondulées et les grands espaces de la campagne de Rome ; mais on y est en sûreté au milieu des moissonneurs kabyles. Je ne parle pas des chiens, qui sont des bêtes fauves très incommodes.

C’est au mois d’avril qu’il eut fallu venir ici chasser les insectes. J’y ai pourtant trouvé beaucoup de coléoptères : des cicindèles maura et flexuosa, nebria æratus, cebrio longicornis sur les lentisques ; plusieurs sylphas puncticollis et des dermestes en compagnie