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ou de planches très bas règne tout autour, le long de la muraille. Pas de fenêtre, un fourneau toujours allumé, une cafetière d’eau toujours bouillante. À peine avez-vous demandé le kaoua, que le grain est cassé et pilé dans la tasse. On y verse de l’eau bouillante, et tout est dit, on attend qu’elle se clarifie d’elle-même. C’est donc une simple infusion qu’on peut prendre quinze fois par jour sans inconvénient, et qui coûte un sou la tasse. Il est très poli d’en offrir aux assistans, qui sont toujours nombreux et qui ne refusent jamais.

J’ai vu aujourd’hui, en rentrant à Alger, une vraie boxe anglaise entre deux portefaix biskris. C’était aussi majestueux que tous les autres actes de la vie arabe. Coups de poing pleuvaient. Pas un cri, pas une injure. Le seul bruit perceptible était celui des horions résonnant sur les crânes. Les camarades, en cercle, contemplaient le duel, et semblaient en être à la fois témoins et juges. Ils attendirent qu’une douzaine de gourmades eussent été échangées en pleine figure, et, l’honneur étant satisfait, les champions furent séparés.

10 juin. — Jour voilé, horizons perdus. J’irais bien en Kabylie ; mais voyager dans la brume et la pluie, ce n’est pas le moyen de voir. — Je me suis payé la fantaisie de contempler pendant plusieurs heures l’intérieur étrange de Zohrah. La maison est, comme toutes celles d’Alger, une sorte de tour carrée percée de petits yeux. Une lourde porte à guichet grillé, et revêtue de gros clous, retombe toute seule à l’entrée du vestibule, orné de deux bancs de pierre. On entre par une ouverture cintrée dans une sorte de cloître ou d’atrium à ciel ouvert qui sert de salon principal. Cet atrium, pavé en mosaïque, est entouré d’une galerie à arcades, dont les colonnettes, de deux à trois mètres de haut, supportent une galerie supérieure. On monte à celle-ci par un escalier rapide pratiqué dans l’épaisseur du massif. Le même escalier conduit à la terrasse. Les appartemens donnent au rez-de-chaussée sur le cloître, en haut sur la galerie. Les chambres sont élevées, étroites, et de toute la longueur de chacune des faces de la maison.

J’ai trouvé Zohrah déjeunant avec sa mère et sa jeune sœur Ayscha, toutes trois assises par terre dans la salle d’en bas, autour d’un plateau de cuivre. Le repas se composait de pain anisé, d’un plat de poissons frits et de cornichons crus, coupés en quartiers et nageant dans l’huile ; en fait de boisson, de l’eau fraîche dans une gargoulette qui passe de bouche en bouche à la fin du repas. Qui boit n’a plus faim, dit l’Arabe. On m’a invité à prendre part au festin ; heureusement pour moi, je venais de déjeuner. On monte à l’étage supérieur, dans la chambre de Zohrah. Le mobilier se compose d’une natte couvrant tout le pavé, un plateau avec ses tasses