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Je suis revenu par le chemin à mi-côte qui passe au-dessus de la porte d’Isly. — Partout, dans les ravins, une végétation admirable.

7 juin. — Promenade dans la ville haute. Les boutiques maures sont des niches de quatre pieds carrés exhaussées d’un mètre audessus du sol de la rue. Le marchand est assis, en tailleur, derrière sa marchandise : trois paniers pleins de brimborions, six colliers d’ambre, deux pots de tabac, six éventails de palmier, un sac d’épis de maïs, du poivre, trois miroirs. Il fume ou prie en dodelinant de la tête et en égrenant son chapelet. Tout le monde a vu cela dans les tableaux de Decamps. Les types et les costumes y sont exacts ; la couleur générale n’y est en aucune façon, ou bien tous les yeux ne voient pas de même. J’ai beau faire, je ne peux pas trouver ici une ombre noire ou seulement épaisse, ni une blancheur mate. En dépit de ces oppositions vigoureuses de l’ombre et de la lumière, il y a toujours reflet, transparence, harmonie.

8 juin. — Il pleut toute la journée ; visites. C’est aujourd’hui samedi, le jour de repos des Juifs ; c’était hier celui des Maures.

La route de la Chiffa s’est encore effondrée, les communications avec Médéah sont encore interceptées. — Une tribu arabe s’est révoltée du côté de Milianah ; une batterie d’obusiers de montagne, à dos de mulet, sort par la porte du Sahel pour aller mettre les mutins à la raison. Est-ce raison, la loi du plus fort ? est-ce mutinerie, l’esprit de race ? J’avoue que je n’ai pas de grands argumens philosophiques au service des théories de conquête ; mais celle-ci est accomplie, il est trop tard pour retirer aux Arabes la civilisation qu’ils ont à demi acceptée, et qu’ils accepteront tout à fait, si elle devient meilleure elle-même. Le temps fera tout. Allah est grand, et l’avenir est son prophète.

9 juin. — Promenade avec M. et Mlle Sarlande à El-Biar, chez leur beau-frère, propriétaire de la belle maison mauresque où fut signée, le 5 juillet 1830, la reddition d’Alger. El-Biar est une agglomération de villas turques, très près de la ville et sur un plateau qui reçoit le vent du nord de première main, ce qui est très apprécié ici en été. Promenade à travers les prairies jusqu’à Hydra. On se repose dans un café maure perdu au milieu de la verdure, auprès d’un ruisseau gazouillant sur les cailloux et dans les herbes folles. Plusieurs Arabes étaient là, assis par terre et jouant gravement aux dames. Ces gens-là sont toujours bien posés, jamais grossiers ni vulgaires. Généralement dans la campagne, les cafés sont en plein air, abrités par un hangar ou par une tonnelle de pampres et de figuiers. Ceux des villes sont très sombres et très petits, souvent au-dessous du niveau de la rue. Un banc de pierre