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vire voyagent avec nous. Des goélands de la côte de Minorque nous ont suivis depuis ce matin jusqu’au coucher du soleil : en voilà des ailes !


Alger, 16 mai.

Je me lève à six heures, et cette fois j’ai dormi comme dans mon lit. Je me croyais encore à Tamaris. J’aperçois, à l’horizon transparent, les fines silhouettes de l’Atlas. Bonjour, père Atlas, j’ai beaucoup entendu parler de toi, et je suis fort aise de te voir. Bien que tu n’aies encore que la mine d’un nuage, ta physionomie me revient assez. On déjeune, les troupiers font un brin de toilette sur le pont pour entrer en ville. On arrive à dix heures et demie. Quarante-sept heures de traversée malgré un violent coup de mer, ce n’est pas le diable.

Les voilà enfin, ces êtres pittoresques brûlés du soleil et pompeusement drapés d’un rien. Voilà des femmes, fantômes blancs avec de grands yeux noirs. Voilà des Maures et des Juifs qui ressemblent à des Turcs de carnaval. Voilà d’étranges transactions de costume, de jeunes Israélites bien contens d’eux, en veste et culotte de drap vert pomme ou amarante, en souliers vernis, et coiffés d’une absurde casquette à visière. Je préfère beaucoup à ces gandins de l’Afrique une troupe d’âniers bronzés, vêtus d’une loque blanche ; je crois voir des esclaves antiques. Les femmes juives ont un grand caractère aussi avec leurs fourreaux étroits, qui dessinent les formes.

Alger, que je m’attendais à trouver effacé par la civilisation, me surprend agréablement. La ville française, mélange de maisons européennes et de masures blanchies à la chaux, ne se compose que de deux ou trois rues. Toutes celles de la ville haute sont en escaliers, étroites, et de physionomie orientale.

Je traverse au hasard, cherchant une sortie sur la campagne. La nature avant tout. Je trouve devant moi la porte Bab-el-Oued, j’arrive au jardin Marengo, puis à la Kasbah, et enfin sur le versant nord de la Kasbah. Me voilà enfin sur la terre d’Afrique, au milieu des fleurs et des insectes qui bourdonnent dans l’ancien cimetière musulman. De luxurians chardons violets montent comme à l’assaut sur les tombes en ruine. Au bas de la colline, l’ancien cimetière Israélite, pierres tumulaires en marbre, inscriptions hébraïques. Une chèvre blanche est coquettement couchée sur la plus haute tombe. De jeunes Espagnoles passent en ondulant des hanches et portant des paquets sur la tête. Poussés par des Arabes sans pitié, de pauvres petits ânes qui fléchissent sous d’énormes charges de sable descendent à la file le long de la montagne.

Je suis la route de Dely-Ibraïm. J’aperçois quelque chose de