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SIX MILLE LIEUES
À TOUTE VAPEUR

Ce journal de voyage n’était destiné qu’à moi et à quelques amis intimes. Mon fils, n’ayant eu ni le temps ni le projet d’approfondir ses observations, ne pouvait se préoccuper d’aucune fantaisie de publicité. Il m’a semblé pourtant, après avoir relu l’ensemble des divers envois, griffonnés Dieu sait comme ! que la rapidité extrême et l’imprévu complet de ce voyage offraient précisément un attrait assez vif. Sauf un mois de flânerie d’artiste et de naturaliste autour d’Alger, tout a été saisi au vol, aperçu plutôt que contemplé ou observé dans cette excursion à toute vapeur.

La situation singulière du voyageur lui a créé un genre d’appréciation tout particulier. Enlevé à l’improviste par le gracieux appel d’un personnage éminent auquel nous lie depuis longtemps une affection aussi sérieuse que désintéressée, il a pour ainsi dire sauté d’Alger à Brest, en passant par Oran, Gibraltar, Tanger, Cadix, Séville, Lisbonne, les Açores, Terre-Neuve, la Nouvelle-Écosse, New-York, Washington, les camps de Bull’s-Run, les grands lacs du nord jusqu’au fond du Superior, les prairies jusqu’à la limite de la civilisation, le Mississipi jusqu’à Saint-Louis, le Niagara, le Saint-Laurent jusqu’à Québec, puis après le retour à New-York, Boston, Saint-Jean et l’Atlantique par la route du nord. Six mille et quelques cents lieues de terre ou de mer en trois mois et vingt jours, sans presque jamais savoir vers quel but on marche, c’est un spectacle assez émouvant quand, la veille du départ, on n’y avait jamais songé.