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d’ailleurs, pour le but qu’on s’est proposé ici, l’opinion que chacun se formera sur le fait, peu importe la solution de la question de droit, peu importent même les suites si graves d’un pareil événement ; c’est assez qu’il ait pu se produire, c’est assez que l’acte ait été commis par ceux qui ont toujours défendu les droits les plus étendus des neutres, et qu’il soit considéré comme un casus belli par ceux qui ont porté naguère au-delà de toutes limites les prétentions des belligérans. La confusion est complète, et la nécessité de faire cesser de telles divergences et de telles incertitudes doit frapper tous les esprits.

L’issue pacifique du différend anglo-américain ne semble plus douteuse. Le gouvernement fédéral paraît avoir reconnu la justice des réclamations de l’Angleterre ; il a déclaré que le capitaine Wilkes avait agi sans autorisation, et que les prisonniers seraient rendus. Il y aurait donc peu de chose à dire désormais des causes de ce différend, sur lequel tous les gouvernemens de l’Europe n’ont guère porté qu’un seul et même jugement, si des opinions fort erronées ne s’étaient manifestées, ce qui rend utile de résumer ce débat dans ses termes vrais, au risque de répéter ce qui a pu être dit ailleurs. De deux choses l’une : ou les confédérés du sud sont des belligérans, et alors leurs envoyés étaient couverts par l’inviolabilité du pavillon qui les. abritait, ou les confédérés sont des rebelles, et alors c’est le droit d’asile qui a été violé sur le pont du Trent dans la personne de MM. Mason et Sliddel. Un journal s’est servi d’une comparaison juste au point de vue anglais. « Supposons, a dit le Times, l’Angleterre en guerre avec la France. Le gouvernement russe pourrait-il souffrir qu’un croiseur britannique arrêtât dans la Baltique la malle russe de Stettin à Cronstadt pour y saisir un agent diplomatique français se rendant à Saint-Pétersbourg ? » Voici une autre comparaison aussi juste au point de vue américain. « Lorsque Kossuth se réfugia en Angleterre avec le but avoué d’y exciter des sympathies en faveur de la Hongrie, s’il s’était embarqué sur un navire anglais, le gouvernement britannique aurait-il pu permettre qu’un vaisseau de guerre autrichien enlevât le passager placé sous la protection de son pavillon ? » Il y a même cette différence que, si Kossuth était vis-à-vis de l’Autriche dans la situation où le gouvernement fédéral prétend placer MM. Mason et Sliddel, le gouvernement britannique n’avait pas reconnu à la Hongrie les droits qu’il accorde aux états du sud. Voulût-on admettre que le doute ait pu exister sur la légalité de la présence des envoyés du sud abord du Trent et que ce fût la matière à discussion, rien n’autorisait le capitaine Wilkes à faire justice de ses mains. Jamais les prétentions les plus excessives n’ont été portées jusqu’à reconnaître