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primitif pour être contesté. La question ainsi posée était simple et se résolvait aisément ; on l’a compliquée, on l’a rendue presque insoluble en la déplaçant. Au lieu de la considérer au point de vue du devoir des neutres, on l’a envisagée et discutée au point de vue des droits, c’est-à-dire des intérêts des belligérans. La question changeait dès lors de caractère et de portée ; elle s’égarait dans les variations et les abus du droit secondaire ou conventionnel ; une appréciation à peu près arbitraire prenait la place d’une définition facile. Le devoir des neutres interdisait les secours en armes et en munitions de guerre fabriquées et préparées ; le droit du belligérant n’avait guère pour limites que son intérêt et son caprice ; l’affirmation de ce droit, se modifiant selon les circonstances, ouvrait la porte aux prétentions les plus singulières, aux interdictions les plus étendues. Ce furent tantôt les matières premières nécessaires à la fabrication et à l’emploi des armes, c’est-à-dire à peu près tous les métaux, le soufre, le salpêtre, tantôt les effets d’habillement et les objets propres à confectionner les équipemens militaires, les draps, les cuirs, tantôt tout ce qui entre dans les constructions navales, bois, goudron, chanvre, tantôt les vivres, les grains, les farines, les boissons, tantôt la houille, nomenclature interminable dans laquelle, une fois le premier pas fait, il est bien facile de ranger à peu près toutes les denrées qui alimentent le commerce du monde.

Quelque divergentes qu’aient été à cet égard les opinions des publicistes, il est difficile, soit que l’on prononce par des motifs de droit, soit qu’on se décide d’après l’usage général et la jurisprudence des traités, de ne pas conclure que la contrebande doit être limitée désormais aux armes, aux munitions de guerre et aux équipement militaires[1]. L’Angleterre seule a soutenu jusqu’à nos jours le système contraire, et le traité de Paris ne change rien à l’état de

  1. M, Hautefeuille fait à ce sujet l’observation suivante : « Quelques traités modernes, conclus surtout par les États-Unis d’Amérique, terminent l’énumération des objets de contrebande par une phrase à laquelle il suffirait d’ajouter un mot pour la rendre très juste et très complète. Voici comment ils s’expriment : « Toute espèce d’armes ou instrumens en fer, acier, bronze, cuivre ou autres matières quelconques manufacturées, préparées et fabriquées expressément pour faire la guerre sur terre ou sur mer. » En ajoutant dans le dernier membre de la phrase un seul mot et en disant : expressément et uniquement destinées…, on aurait une définition très exacte de la contrebande. Je n’hésite pas à recommander une rédaction de cette nature à tous les peuples, parce que, appliquée loyalement, cette phrase ne peut jamais donner lieu à aucun embarras, et qu’elle exclut naturellement tous les objet, qui, pour servir à la guerre, ont besoin de subir une transformation par la main de l’homme, toutes les matières premières, enfin parce qu’elle renferme la contrebande dans les limites du droit primitif et même du droit secondaire tel qu’il nous a été légué par le XVIIIe siècle. » (Droit maritime international, page 83.)