Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/432

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des progrès de la civilisation, des idées de droit et de justice, l’honneur d’un résultat dû à d’autres causes. Nous en avons pour garans les propres aveux d’un de ses plénipotentiaires au congrès de Paris et de son premier ministre. Exposant, le 22 mai 1856, devant la chambre des lords, les motifs qui avaient déterminé les plénipotentiaires de la Grande-Bretagne à signer la déclaration du 16 avril, lord Clarendon n’hésita pas, malgré le retentissement que ses paroles devaient avoir de l’autre côté du détroit, à s’exprimer ainsi : « Nous avons obtenu de la France, en matière de lettres de marque, la consécration d’un principe qui sera très avantageux pour une nation commerçante comme l’Angleterre ; l’abolition des lettres de marque est plus que l’équivalent de l’abandon d’un droit que je sais qu’il est impossible de soutenir. Cette abolition est bien plus importante aujourd’hui qu’elle ne l’a été à aucune autre époque. Lorsque le bâtiment marchand et le corsaire attendaient tous deux du vent leur puissance motrice, ils étaient comparativement sur le pied de l’égalité, et c’était le plus fin voilier qui prenait l’avance ; mais la majeure partie de notre commerce, se faisant encore sur des bâtimens à voiles, serait absolument à la merci d’un corsaire, quelque petit qu’il fût, faisant la course à la vapeur. En conséquence, je regarde l’abolition des lettres de marque comme étant du plus grand avantage pour un peuple aussi commerçant que le peuple anglais. » Lord Palmerston avait dit, le 6 mai, à la chambre des communes : « C’est nous qui avons le plus gagné à ce changement par suite duquel pendant toute cette guerre (celle de Crimée) nos relations commerciales n’ont pas souffert. »

À l’époque du dernier traité de Paris, la situation relative de l’Angleterre et des autres puissances maritimes était bien différente de ce qu’elle était il y a cinquante ans. Ce changement, amené en partie par le développement des forces navales de la France et de la Russie, était surtout dû à la place prise par les États-Unis d’Amérique au premier rang des nations maritimes. Si depuis quelques années la politique avouée du gouvernement fédéral, politique conforme aux doctrines de Monroë, a été de ne point intervenir dans les querelles de l’Europe, ce n’était pas seulement comme pouvant servir de fondement à des prétentions exclusives sur le règlement des affaires du Nouveau-Monde que cette conduite était adoptée. Ce n’était pas non plus par amour platonique de la liberté des mers que les Américains s’étaient montrés toujours si zélés défenseurs des droits de la neutralité. L’attachement à des principes abstraits n’est guère le mobile des politiques, et la diplomatie n’en fait le plus souvent, comme on l’a dit justement à propos du principe de non-intervention, qu’un moyen pour l’esprit et une arme pour la protection