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de ceux qui la condamnent sont-ils également réfléchis et également sincères ? Est-on bien fondé à qualifier de pirates les volontaires de la mer au moment où des corps de volontaires viennent d’exercer une telle influence sur le sort de l’Italie ? Qu’une puissance maritime prépondérante, la première à la fois par son commerce et par ses armemens, obligée pour subsister d’assurer la liberté de ses transports, disposant d’un matériel naval immense et pouvant réparer ses pertes d’hommes grâce à une pépinière inépuisable de matelots, que cette puissance proscrive la course, cela se conçoit aisément. Les raisons mêmes qui l’y engagent doivent détourner d’en faire autant ceux qui n’entreraient en lutte avec elle que dans des conditions très différentes. Les corsaires peuvent tenir glorieusement et utilement la mer (ils l’ont assez prouvé sous la république et sous l’empire) alors que les flottes régulières sont détruites par de longs revers ou paralysées par une trop grande disproportion de forces. La course est surtout nuisible à celui des belligérans dont le commerce maritime couvre les mers de son pavillon et offre dix prises contre une à l’audace des corsaires. C’est ce qu’ont parfaitement compris les États-Unis ; c’est ce qu’a peut-être trop perdu de vue votre gouvernement en signant la déclaration du 16 avril 1856, car la France ne peut avoir oublié les exploits de Surcouf et de tant d’héroïques enfans de Dunkerque, de Saint-Malo, de Granville ; la France ne peut avoir oublié que c’est la course qui lui donna Jean Bart et Duguay-Trouin. Que l’abolition de la course soit présentée comme un progrès de la civilisation, nul n’y contredira ; mais, pour ne pas risquer d’être victime de sentimens généreux, il eût mieux valu que la France ne renonçât à cette arme si redoutable entre ses mains qu’aux conditions posées par les États-Unis.

Il est vrai qu’outre les raisons puisées dans des sentimens d’humanité, on allègue, pour justifier une telle concession, l’intérêt qu’avaient la France et les puissances maritimes de second ordre à faire consacrer formellement par l’assentiment de l’Angleterre les principes protecteurs de la liberté des mers et des droits des neutres. Il est difficile d’accepter cette explication. En s’engageant à respecter désormais les transports faits sous pavillon neutre, à ne reconnaître et à n’imposer comme obligatoires que les blocus effectifs, l’Angleterre n’a fait aucun sacrifice réel. Son assentiment à ces principes, devenus, sauf une seule exception, ceux de toutes les nations civilisées, était dans la force des choses. L’Angleterre pouvait différer cet assentiment ; mais, la guerre éclatant, elle n’aurait eu qu’à le donner ou à se le voir arracher par la nécessité. On serait donc mal fondé, pour elle du moins, à revendiquer au nom