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cher à la Grande-Bretagne, si au même moment l’assassinat de Paul Ier n’avait appelé au trône l’empereur Alexandre. Le premier acte du nouveau souverain, triste démenti aux glorieuses traditions de Catherine II, fut de renier, dans les conventions conclues en 1801 avec l’Angleterre, les principes des traités de 1780.

La complicité de la Russie, l’anéantissement de la flotte danoise, plus tard la destruction de notre propre marine, mirent les neutres à la discrétion de l’Angleterre. L’Europe vit fouler aux pieds tous les droits des neutres, tenter contre eux toutes les violences. Depuis Louis XIV, la France était restée fidèle aux principes protecteurs de la liberté des mers. Contrainte d’emprunter leurs armes à ses ennemis, elle ne le fit du moins qu’à titre de représailles. Les décrets de Berlin et de Milan, quelque jugement qu’on porte sur la politique qui les inspira, étaient présentes comme la revanche des actes d’arbitraire et de spoliation dont les mers devinrent le théâtre après la rupture de la paix d’Amiens. Lorsque par un ordre du conseil le cabinet britannique déclarait bloqués tous les ports de l’empire, lorsqu’il ordonnait la confiscation de toutes les cargaisons de grains expédiées d’un port neutre pour un port français et saisies sur la haute mer par ses croiseurs, il n’avait pas le droit de se plaindre du blocus continental. Quand l’Angleterre imposait aux navires neutres, sous peine d’être traités en ennemis, l’obligation de toucher à un port anglais, la France était autorisée à considérer comme dénationalisé tout navire qui se soumettait à cette exigence. Il importe d’ailleurs de remarquer que jamais la France ne prétendit, comme sa rivale, fonder sur les principes du droit des gens les mesures que lui commandait le soin de sa défense, et qu’au contraire elle déclara toujours formellement qu’elle répudierait de tels moyens lorsque cesseraient de les employer ceux qui les premiers n’avaient pas craint d’y recourir.

Il était nécessaire de rappeler brièvement ce triste passé avant d’exposer l’état actuel du droit maritime de l’Europe ; les enseignemens de l’histoire se chargeront de démontrer la nécessité de nouveaux changemens, sans lesquels la guerre amènerait infailliblement le retour à des pratiques rendues plus désastreuses que jamais par l’immense développement du commerce international[1].

  1. Il faut nécessairement renvoyer aux traités spéciaux sur la matière ceux qui voudraient prendre une connaissance plus approfondie d’un sujet sur lequel ont été imprimés tant de volumineux recueils. Hubner, Klubber, Wheaton et plusieurs autres publicistes ont jeté de vives lumières sur la question ; mais nous possédons en France deux ouvrages récens qui résument et complètent les publications antérieures. Les droits et les devoirs des nations neutres en temps de guerre maritime, — l’Histoire des origines, des progrès et des variations du droit maritime international, par M. Hautefeuille, sont des œuvres du plus grand mérite, qui doivent être dans les mains de quiconque s’intéresse à l’étude de l’histoire et du droit public. On peut ne point partager toutes les opinions de l’auteur, mais il est impossible de ne pas éprouver de l’estime pour son savoir, de la sympathie pour l’esprit libéral et éclairé qui l’anime. D’ailleurs les questions sont exposées avec tant de clarté et de sincérité que chacun peut, en pleine connaissance de cause, arriver aux conclusions que lui dictera sa raison.