Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/372

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à suivre l’exécution de cet édit dans les autres généralités qui n’avaient pas d’états et qui étaient encore au nombre de dix-sept. On y retrouvera les trois élémens séculaires de l’ancienne société française, clergé, noblesse et tiers-état, travaillant en commun à la suppression progressive des privilèges et à la fondation pacifique de la société nouvelle, sous les auspices d’un monarque réformateur, jusqu’au moment où l’impatience nationale manquera le but en voulant le dépasser : récit non moins triste, non moins douloureux pour celui qui l’écrit que pour ceux qui le lisent, mais qui contient de justes réparations envers le passé et d’utiles enseignemens pour l’avenir.

En essayant de ranimer ces souvenirs, que la secousse révolutionnaire avait comme recouverts d’une lave épaisse, nous nous sommes imposé le devoir d’y mettre du nôtre le moins possible. Dans l’impossibilité de nommer tous les acteurs de cette grande tentative, puisqu’ils s’élèvent à plusieurs milliers pour la France entière, nous avons dû nous borner aux principaux, en nous attachant à les faire connaître par leurs actes et par leurs paroles, afin qu’on ne pût accuser l’historien de se substituer à ses personnages et de leur prêter un langage et des sentimens qu’ils n’avaient pas. Nous continuerons à suivre la même méthode, car il ne s’agit pas ici d’une vaine prétention d’écrivain, mais de la reproduction fidèle, exacte, littérale, de ce qui s’est fait, dit et pensé à la veille de la révolution dans les diverses parties de la France. On a répandu dans les esprits tant d’idées fausses que l’évidence des faits peut seule y porter aujourd’hui quelque lumière : nous n’espérons même pas convaincre par là ceux qui ont leur parti pris et arrêté d’avance ; nous ne nous adressons qu’à ceux qui cherchent sincèrement la vérité, quelle qu’elle soit.


I. — HAUTE-NORMANDIE.

Dans la région de l’ouest, où nous allons suivre maintenant l’institution des assemblées provinciales, la Normandie se présente d’abord. Cette province, en 1787, avait depuis longtemps perdu son unité ; elle se divisait en trois généralités dont les chefs-lieux étaient Rouen, Caen et Alençon. La plus importante des trois, celle de Rouen, qu’on trouve quelquefois désignée dans les documens de l’époque sous le nom de Haute-Normandie, comprenait à peu près les deux départemens actuels de la Seine-Inférieure et de l’Eure, avec une partie du Calvados, et se subdivisait en quatorze élections, qui forment aujourd’hui dix arrondissemens : Rouen, Pont-de-l’Arche, Pont-Audemer, Pont-Lévêque, Caudebec, Montivilliers, Arques,