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Maurice, je me disais : — Ne renversera-t-elle pas tous ces beaux rêves par un simple refus ?

Nous partîmes enfin pour Paris, où nous arrivâmes par le train-poste vers cinq heures du matin. — N’oubliez pas nos conventions, me dit Richard : aujourd’hui vous irez chez Geneviève, vous lui raconterez de notre voyage ce que vous croirez devoir lui raconter ; vous lui parlerez de moi, sans insister, plutôt pour la sonder que pour obtenir d’elle une décision. Si elle refuse de me voir, si elle est résolue à ne rien accepter de moi, ne la brusquez pas : le temps l’amènera sans doute à des résolutions meilleures ; mais d’une façon ou de l’autre, en la trompant même s’il le faut, arrivez à ce résultat qu’il faut atteindre absolument : la tirer de la misère et empêcher qu’elle y retombe jamais. Ce soir, après mon dîner, je serai chez vous, et vous me direz ce que vous aurez pu faire. — Je me séparai de Richard en lui disant : « À ce soir ! » Il prit un fiacre pour aller chez lui. Quant à moi, comme le temps était beau, que le jour se levait, que j’étais las d’avoir été longtemps assis et que j’aime à voir Paris se réveiller peu à peu sous les pâleurs de l’aube, je confiai mon bagage à un commissionnaire, et je partis à pied, lentement, bayant aux corneilles, regardant les boutiques s’ouvrir, les ouvriers se rendre à leurs chantiers, et défiler les lourdes voitures chargées de légumes qui se rendent à la halle, conduites par un charretier enveloppé de sa roulière.

Lorsque j’arrivai chez moi, je fus stupéfait d’y voir Richard, qui m’attendait. Il était effroyablement pâle et marchait dans mon salon en agitant convulsivement les bras au-dessus de sa tête.

— Ah ! vous voilà ! me cria-t-il dès qu’il m’aperçut ; nous sommes des misérables d’être restés si longtemps à Angoulême. Tout est fini, tout est fini !…

— Mais qu’est-ce qu’il y a donc encore ? lui demandai-je avec angoisse, ne comprenant rien à cet emportement et à ce désespoir.

Pour toute réponse, il me tendit une lettre ; elle était de Geneviève et datée déjà de douze jours. Voici cette lettre :

« Je sens que tout va bientôt finir pour moi, mon pauvre Richard, et, dans ces heures douloureuses qui précèdent la dernière, je réunis ce qui me reste de force pour t’écrire, car c’est à toi seul que je pense, à toi seul et non à d’autres. Je ne voudrais pas partir sans être certaine que tu me pardonnes, que ton cœur a gardé quelque chose pour cette Geneviève que tu as tant aimée et qui t’a si mal payé de ta tendresse. Ce n’est point ma faute, vois-tu ; je n’étais pas faite pour la vie sévère que je menais près de toi, tu étais trop sérieux. Ma misérable existence, qui avait été si décousue, n’a jamais pu se plier aux graves régularités où tu t’étais enfermé J’ai été bien punie, et tu n’as été que trop vengé ; je n’ai point été