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jeunesse. Au bout de deux semaines, les symptômes alarmans disparurent, et je pus enfin espérer de le ramener bientôt à Paris. Un jour, je trouvai. Richard assis sur son lit et pleurant : — Eh ! qu’avez-vous donc ? lui demandai-je. — Ah ! me répondit-il avec un gémissement si douloureux qu’il m’alla au cœur, je pleure parce que j’ai tué ce jeune homme ; vous auriez dû m’en empêcher. Croyez-vous que jamais maintenant je puisse dormir en repos ? Et puis qui sait si Geneviève ne va pas me haïr !

J’écrivis immédiatement au témoin de Maurice, et j’avoue que je m’attendais à recevoir une réponse sinistre ; sa lettre au contraire était fort rassurante : Maurice Castas avait été pendant le premier jour condamné par les médecins, mais peu à peu la vie avait repris le dessus, et maintenant il était hors de tout danger. L’affaire avait été presque ignorée à Bordeaux, on l’avait attribuée à une sotte querelle avec un Parisien qui se moquait de l’accent des Bordelais, ce qui avait valu de grands éloges à Maurice, bien que de sages personnes eussent blâmé tant de susceptibilité sur le point d’honneur. Sa fiancée n’en était que plus éprise de lui, et le mariage se ferait dès que Maurice pourrait sortir. Seul, son père avait su toute la vérité et en avait profité pour faire à son fils un long sermon sur le péril des liaisons mauvaises. La lettre se terminait par d’aimables paroles à l’adresse de Richard, qui eut un soupir de soulagement et un éclair de joie dans les yeux en apprenant que, malgré l’extrême gravité de sa blessure, Maurice était sauvé.

Ai-je besoin de dire que dans nos fréquentes causeries il n’était question que de Geneviève ? Jusqu’où allait la pensée de Richard, j’ai pu le deviner ; mais Il ne l’a jamais dit entièrement. Son âme honnête s’était vite reprise à toute sorte d’illusions, et je suis convaincu qu’attiré par le sublime vertige du dévouement, ce pauvre être, qui avait tant souffert par Geneviève, rêvait de la tirer de la misère, de se charger de son fils, de recommencer avec elle sa paisible vie d’autrefois, et, qui sait ? peut-être même de l’attacher à lui par des liens indissolubles. — C’est sa santé surtout qui m’inquiète, me répétait-il souvent ; d’après ce que vous m’avez dit, je vois qu’elle souffre, et que son mal n’a fait qu’augmenter parmi tous les chagrins qui l’ont assaillie. Je tâcherai de lui trouver à la campagne, près de Paris, une petite maison où elle pourra vivre avec son enfant au soleil et sur la lisière des bois. J’irai la voir, pas trop souvent, le dimanche et peut-être une fois dans la semaine. Vous viendrez avec moi, cela distraira cette pauvre fille ; elle est bien jeune encore, et vous verrez qu’avec des soins et du repos elle redeviendra forte et pourra être heureuse encore.

J’admirais la ténacité de cette tendresse, qui persistait malgré tout ? mais, sachant l’amour que Geneviève avait conservé pour