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ici ! — Sa pensée retournait vers Geneviève avec une force nouvelle, et secrètement dans son cœur il faisait des rêves d’avenir qu’il n’osait me raconter. Le lendemain, vers sept heures, par un beau jour clair et froid, nous étions auprès de la chapelle d’Arcachon. Maurice ne tarda point à nous rejoindre. Il avait passé la nuit en voiture pour être exact au rendez-vous. Le duel eut lieu à l’épée. Les adversaires paraissaient à peu près de même force, et il fut évident pour moi dès les premières passes que Maurice cherchait à ménager Richard. Richard fit une parade malhabile ; l’épée de Maurice pénétra profondément dans les chairs de l’avant-bras. — Ce n’est rien, s’écria Richard, à peine une égratignure ! — Et, malgré le sang qui coulait en abondance, il se remit en garde. Nous fîmes de vains efforts pour arrêter le combat. Richard ne voulut pas nous entendre ; Maurice se contenta de dire : — Je suis à la disposition de M. Piednoël. — Les adversaires s’animaient, les coups devenaient plus pressés. Richard était très pâle et souffrait visiblement. Il se fendit à fond, et son épée disparut presque entière dans la poitrine de Maurice. Ce garçon était brave, il resta debout pour ne point donner à son adversaire la joie de le voir tomber.

J’entraînai Richard, et en me retournant, à travers les arbres, j’aperçus Maurice couché sur le sable, évanoui et les lèvres teintes de sang. Je pansai rapidement le bras de Richard, puis nous montâmes dans un bateau qui nous conduisit au Teich, où nous prîmes le chemin de fer. Nous étions seuls dans notre wagon, nous ne parlions pas ; Richard rompit enfin le silence par une phrase qui continuait sa pensée : — Quelle sottise ! Tout cela l’empêche-t-il de m’avoir enlevé Geneviève et de l’avoir abandonnée après avoir empoisonné ma vie ?

Sa souffrance avait augmenté, la fièvre l’agitait, une douleur aiguë avivait sa blessure. J’aurais voulu qu’il s’arrêtât à Bordeaux pour se reposer et se faire panser par un chirurgien. Richard n’y consentit pas. — Ce n’est rien, ce n’est rien, répétait-il, une piqûre ; cela va se calmer, allons retrouver Geneviève. — Je lui cédai de nouveau, et j’eus tort, car à Angoulême il fallut s’arrêter. La fièvre était devenue violente, et le bras considérablement enflé était comme paralysé. Je fis venir immédiatement un médecin : il reconnut une inflammation du périoste de l’humérus. Il déclara qu’il serait dangereux de continuer le voyage et ordonna un repos absolu. Je m’établis à l’auberge auprès de Richard et ne le quittai pas. Il fut malade jusqu’à m’inquiéter ; plusieurs fois il eut le délire, et dans ces pénibles momens où la libre direction de son âme ne lui appartenait plus, il ne parlait ni de Maurice, ni de Geneviève, mais sans cesse il prononçait le nom de Pradier, celui de son père et des autres personnes qui avaient traversé les années de sa première