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d’un peuple ?… Aux heureux de la terre, à ceux qui jouissent d’une patrie indépendante et libre, il est difficile, il est presque impossible de comprendre tout l’enfer de tentations, de suppliées, qui se résume pour un peuple subjugué dans ce seul mot : l’esclavage ; mais le poète anonyme comprit cet enfer et en frémit. En se plongeant dans les profondeurs de « l’âme polonaise, » il y rencontra tout d’abord ce courant d’idées sombres, farouches, « et il eut froid. » Il eut peur de ce sentiment national qui ne se nourrissait que de haine contre les dominateurs ; il eut peur de cet amour de la patrie plus fort que la mort, mais qui n’avait que des pensées de mort. Il voulut donner un avertissement à son peuple, et il écrivit l’Iridon.

La douleur patriotique née de l’oppression étrangère, le poète anonyme la représenta dans tout ce qu’elle pouvait avoir de plus beau et de plus légitime. Quoi de plus émouvant en effet, de plus attrayant pour notre imagination que le souvenir de l’Hellade, terre classique de l’art, de la poésie, de la liberté et de cet amour de la patrie qui enfanta tant de héros et tant d’actions illustres ? Quoi de plus justifié aussi que le ressentiment d’un descendant de Thémistocle et de Miltiade contre « le peuple né d’une louve, » contre ce Romain arrivé jadis à Corinthe comme ami et libérateur, puis devenu le maître cruel et orgueilleux de la Grèce et du monde entier ? Le drame nous montre le génie hellénique méditant une grande œuvre de vengeance après des siècles d’assujettissement et d’opprobre. L’action est placée à l’époque des Caracalla et des Héliogabale, au temps du plus profond abaissement de l’empire, lorsque Rome n’avait plus de grand que sa monstruosité, et semblait donner une prise facile à toute tentative courageuse. Ainsi rehaussée par l’éclat d’un passé magnifique, justifiée par les griefs les plus fondés, favorisée par les circonstances les plus propices, l’entreprise d’Iridion porte encore en elle une autre garantie de succès : elle n’est pas éclose subitement de la pensée et de la volonté d’un seul âge, elle est le fruit d’un long et douloureux travail ; elle a été préparée de bien loin par une génération qui s’était résignée d’avance à semer sans récolter et à ne vivre que dans ses successeurs. C’est là la pensée profonde du prologue, où se dessinent deux personnages qui sont destinés à mourir avant que le véritable drame n’ait commencé, mais qui donneront le jour au futur héros, au fils de la vengeance.

Amphiloque, Hellène de race illustre et qui comptait Philopœmen parmi ses ancêtres, avait ressenti toutes les douleurs de son peuple subjugué ; « esclave par sa nation, il fut par son esprit un vengeur. » Avec la clairvoyance de la haine, nous dirions presque de la haine d’émigré, il avait aperçu à l’horizon encore serein le point