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étroites et ses bras maigres ; dans la langueur de ses yeux fendus en amande, on pressentait quelque malaise intérieur ; ses cheveux châtains, lissés en bandeaux brillans, couvraient un front d’une blancheur trop mate ; son menton ravalé indiquait une nature sans grande énergie ; sa main, fort belle, était surtout remarquable par ces ongles longs, roses et bombés, dont la courbure spéciale, que connaissent bien les physiologistes, est une preuve presque absolue d’une affection de poitrine. Nous avions pour elle cette politesse familière qui ne questionne jamais, mais qui semble toujours dire : « J’en sais plus long que je n’en veux laisser voir. » Elle paraissait ne s’inquiéter de rien et être fort heureuse. Qui était-elle ? D’où venait-elle ? On l’ignorait. Un jour on l’avait trouvée établie chez Richard, c’était tout ce qu’on savait.

C’était le jeudi que Richard recevait ; nous aimions ces réunions, où régnait une liberté de bon aloi que je n’ai jamais vue dégénérer en licence ; la présence de Geneviève imposait une certaine réserve à nos causeries, qui ne sortirent jamais du cadre des plaisanteries permises. Notre groupe était curieux à étudier, et j’ai vu là bien des hommes auxquels il n’a manqué qu’une circonstance ou moins de rigidité dans la ligne secrète qu’ils avaient imposée à leurs convictions pour jouer un grand rôle dans leur pays. On était très sévère sur les admissions ; quelque soin que l’on y mît, on ne put toujours cependant éloigner les importuns qui demandaient à faire partie du cénacle. Parmi ces derniers, il y avait un jeune homme de vingt-cinq, ans environ, qu’on nommait Maurice Castas, et qui se montrait fort assidu chez Richard. Ce n’était point un méchant garçon ; mais malgré quelque esprit et un jargon de convention, pour me servir d’une expression populaire, on le trouvait sot comme un panier, sot dans sa manière de parler, sot dans son gilet, sot dans sa chevelure, sot dans ses gestes, sot partout. Avait-on bien raison ? Et comment était-il tombé au milieu de nous ? Je ne le sais guère. Son père, honorable et riche commerçant de Bordeaux, rêvait pour son fils ce qu’il nommait lui-même une carrière à cravate blanche. Maurice, venu à Paris pour faire son droit, mangea vite le petit héritage de sa mère, se promena sur le boulevard, soupa en mauvaise compagnie, accrocha un de à son nom, fit de grosses dettes, et mécontenta si bien son père que celui-ci se fâcha tout rouge et supprima tout envoi d’argent. Un agent d’affaires de Bordeaux, connaissant la position future de Maurice et hypothéquant la mort du père Castas à gros intérêts, expédiait de temps en temps quelques billets de mille francs au jeune drôle, qui disait en riant : « Bah ! mon père est plus riche qu’il ne le dit : si j’ai trop de dettes, il me mariera, et je ferai souche à mon tour ! » Nous n’aimions guère ce Maurice, et Richard nous grondait doucement de notre mauvais