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humaine, à l’âme polonaise, selon le mot national, « à ce point imperceptible qui a en même temps une périphérie infinie, puisqu’elle contient Dieu. »

Au premier aspect pourtant, la seconde œuvre qui suivit de bien près la Comédie infernale (1836) lui ressemble à plus d’un égard. Au point de vue de la forme, c’est encore une allégorie dramatique, aux scènes changeantes, hardiment esquissées et entrecoupées de digressions lyriques. Quant au sujet, il représente aussi la chute d’un monde, l’écroulement d’une société. Toutefois ce qui distingue dès l’abord l’Iridon de la Comédie infernale, c’est que le drame ne s’y joue plus dans l’avenir ; il s’accomplit dans un passé bien connu et déterminé. Avec une rare intelligence des grandes conceptions, le poète s’est placé au nœud même de ces trois élémens : — l’élément classique, l’élément barbare et l’élément chrétien, — dont le tissu, providentiellement combiné et développé par les siècles, a formé la civilisation moderne. Le triple nom que porte le héros du poème, — Iridion, Sigurd, Hieronymus, — indique déjà ce point d’intersection dans l’histoire de l’humanité où se trouve fixé le drame. Est-ce grâce à ce fond historique en général que cette seconde œuvre a sur la première l’avantage d’un dessin plus ferme et plus plastique ? Ne doit-on pas l’attribuer bien plutôt au monde spécial choisi cette fois par le poète, à ce monde antique dont le génie, pris même dans l’époque du déclin, semble avoir le don de prêter à tout ce qu’il touche de la clarté et de la transparence ? Il est certain, dans tous les cas, que cette seconde composition a plus de relief et d’ordonnance harmonieuse que la Comédie infernale ; les figures n’y sont plus de simples symboles, elles ont des traits marqués du burin le plus ferme, elles ont un grand cachet d’individualité ; les caractères sont largement développés. Cependant ce qui distingue le plus ce poème, comparé à la Comédie infernale, c’est qu’au lieu d’une tendance humanitaire et cosmopolite il a une portée patriotique : il vise à une situation spéciale faite à la Pologne depuis son démembrement, et qu’il né faut pas oublier.

L’histoire connaît sans doute plus d’un pays qui a rongé avec désespoir les chaînes de la domination étrangère, elle connaît même des nations qui, comme la Grèce de nos jours, se sont réveillées dans toute l’énergie du sentiment patriotique après des siècles d’oppression ; mais à l’exception de l’Espagne sous le joug des Maures, elle n’offre peut-être pas une nation qui, autant que la Pologne, ait lutté contre son assujettissement. Un siècle s’est écoulé depuis le partage de la Pologne, et combien de soulèvemens ne compte-t-elle pas déjà dans ses annales, combien d’efforts toujours domptés et toujours renaissans ! Et quelle amertume aussi ne dut