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Il vaut mieux convenir que nous savons ce qu’il n’est pas ; non ce qu’il est ; Mais quoi ! s’il y a du péril à dire de Dieu qu’il a la sagesse, la puissance, la liberté, ne pourrons-nous pas dire au moins qu’il est, qu’il est un, qu’il possède l’être et l’unité ? Non. Dieu sans doute est l’être des êtres, et il dit de lui-même à Moïse : Ehyé ascher ehyé (ego sum qui sum) ; mais l’être de Dieu n’a aucune proportion, aucune analogie avec l’être des créatures. Maïmonide en donne une raison très remarquable, c’est que dans la créature, qui commence d’être et qui peut finir, l’existence est quelque chose de fortuit et d’accidentel, tandis qu’en Dieu l’existence est nécessaire ; elle ne fait qu’un avec l’essence. Et quant à l’unité, on peut dire assurément et même on ne saurait trop dire que Dieu est un ; mais il faut s’entendre. Les paroles, les formules ne sont qu’un vain bruit, si on ne pénètre pas au-dessous. L’unité dans les créatures est toujours jointe à la multiplicité. Ce n’est pas l’unité pure et absolue » c’est l’unité multiple, l’unité qui se divise et se déploie comme notre intelligence par exemple, qui s’épanouit en images et en idées, ou comme le soleil qui rayonne et resplendit. Toutes ces analogies sont fausses quand on les applique à Dieu. L’unité de Dieu ne souffre aucune division. C’est une unité concentrée et ramassée en soi. Ce qui émane d’elle au dehors, ce n’est plus elle-même, ce sont des êtres sans analogie et sans proportion avec elle, des êtres contingens, divisibles, périssables. Par conséquent on est dupe d’une métaphore trompeuse quand on dit que Dieu possède l’unité.

Mais si Dieu n’a point d’attributs, comment le saisir ? S’il échappe par sa simplicité absolue à toutes les prises de la pensée humaine, comment élever vers lui notre esprit et notre cœur ? Le moyen même d’invoquer son nom, si tout nom donné à Dieu couvre une injure et un blasphème ? Il est vrai, dit Maïmonide, Dieu est ineffable et le seul moyen de l’adorer, c’est le silence. « Pour toi, dit l’Écriture, le silence est la louange. » (Psaumes, LV, 2.) Et encore : « Pensez dans votre cœur, sur votre couche, et demeurez silencieux. » (IV, 5.) C’est pourquoi le nom de Dieu chez les Juifs ne devait être prononcé que dans le sanctuaire, par les prêtres sanctifiés à l’Eternel et par le grand-prêtre au jour des expiations. Hors du sanctuaire, on y substituait le nom d’Adonaï (le Seigneur) ; mais Adonai comme Elohim, ce sont des noms communs qui désignent l’action de Dieu hors de lui-même et non son essence. Il n’y a qu’un nom qui soit ce que l’Écriture appelle le nom particulier de Dieu. N’en cherchez point l’étymologie ; il n’a aucun rapport avec les autres noms. Ce nom mystérieux, ce nom redoutable, Maïmonide n’ose pas le proférer. Il se borne à en épeler les quatre lettres sacrées yod, hé, wâu, hé (Jéhovah). C’est là le nom tétragrammatique, le