Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/297

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de ce stratagème de police, et de pauvres moujicks, un moment égarés, allaient demander pardon en pleurant à ces jeunes gens contre lesquels on les avait poussés. La classe où les étudians ont trouvé moins d’appui, chose étrange, est celle des professeurs, et c’est un fait à remarquer dans cette agitation qui remplit depuis quelques années les universités russes : les professeurs, bien que nourris de certaines idées libérales, ont montré une timidité singulière en face des actes du gouvernement qu’ils blâmaient le plus ; à l’exception de quelques jeunes professeurs de Pétersbpurg, presque tous ont gardé une réserve craintive, et ceux de Moscou, dans les dernières échauffourées, se sont faits les complices, les apologistes de la répression. Il ne faut pas s’y tromper, ces scènes sont un des symptômes les plus graves aujourd’hui en Russie ; elles sont la manifestation d’une pensée d’action et de résistance à l’autorité armée, considérée jusqu’ici comme inviolable ; elles révèlent de plus ce qui s’agite dans cette jeunesse qui ne fait que grandir, qui n’a pas subi toutes les influences du système de l’empereur Nicolas, qui arrive dans la vie pleine de sève et d’énergie, et qui est appelée a jouer le premier rôle dans tous les événemens.

Ainsi a grandi et s’est compliquée cette situation mystérieuse où chaque jour fait surgir quelque élément inattendu, où l’esprit de compression, en tendant de nouveau tous ses ressorts, ne peut réussir à rien empêcher, ni l’effervescence de la jeunesse, ni la contagion des idées, ni les manifestations les plus diverses d’une opposition croissante. Le gouvernement vit au milieu d’incidens qui échappent à son action, qui éclatent en quelque sorte sous ses pas. Un jour, — c’était dans l’été de 1861, — un bruit de conspiration se répand à Saint-Pétersbourg ; d’où vient ce bruit ? Il y avait un sénateur d’esprit remuant, M. Khroustchef, qui prenait volontiers les allures libérales et se croyait à la veille d’arriver au ministère ; trompé dans ses espérances, il était devenu fou. Jusque-là rien d’extraordinaire ; mais on s’empressait d’aller reprendre chez M. Kroustchef les papiers relatifs aux affaires qu’il avait à examiner comme membre du sénat, et ici commençaient les surprises. Parmi les papiers du sénateur, on trouvait des correspondances avec M. Hertzen, et les nouvelles transmises par ces correspondances étaient censées venir des plus hautes sources. Cet incident prenait les proportions d’un complot. On en a parlé vaguement en Europe, on en parlait bien plus encore à Pétersbourg, et la découverte n’était point, dit-on, étrangère aux ; voyages d’été du grand-duc Constantin et de la grande-duchesse Hélène. — Un autre jour, au mois de juillet, une proclamation révolutionnaire révélait l’existence d’un journal imprimé secrètement dans l’intérieur même de la Russie, le Welikorus, qui ne se bornait plus à l’exposé théorique des idées