Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/296

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

réactionnaire et féodal, passionnément opposé à l’émancipation des paysans, adversaire des universités qu’il protégeait autrefois, n’admettant l’utilité de l’éducation que pour la noblesse. Nul n’a mis plus d’ardeur, d’énergie et d’autorité à effrayer l’esprit naturellement vacillant d’Alexandre II, à lui représenter les dangers du mouvement actuel et à lui conseiller une politique de répression. Les idées du général Strogonof sur la réforme des universités étaient des plus simples : elles consistaient à revenir au système de l’empereur Nicolas, à limiter de nouveau à trois cents le nombre des étudians, à élever le chiffre des droits d’inscription à 200 roubles, à diviser les universités en écoles spéciales et distinctes en les dispersant dans les différentes villes, à transporter celle de Saint-Pétersbourg à Gatczyn, à interdire l’entrée des cours aux auditeurs libres. Quand ce projet fut connu, il souleva l’opinion à tel point qu’on dut s’arrêter à mi-chemin. On ne fit pas tout ce qu’on voulait, mais on éleva les droits d’inscription à 50 roubles, on imposa aux étudians des règlemens d’une sévérité minutieuse ; réunions, promenades, députations furent défendues ; on abolit les bibliothèques, les caisses de secours fondées pour subvenir aux besoins des jeunes gens pauvres. La lutte était ouverte.

Qu’en est-il résulté ? L’agitation a pris un caractère bien autrement grave et redoutable. Deux fois les universités ont dû être fermées en présence de la véhémente animosité des étudians, dont la force n’a pu dompter la résistance, et de là sont nées ces collisions, ces scènes de désordre qui éclataient il y a trois mois à Moscou et à Saint-Pétersbourg. Les étudians de Moscou avaient résolu de présenter une adresse à l’empereur pour demander l’abolition des règlemens nouveaux, lorsqu’une nuit quelques-uns étaient subitement arrêtés. Le lendemain, tous les autres étudians se rassemblaient devant la maison du gouverneur pour savoir les motifs de l’arrestation de leurs camarades et pour réclamer l’envoi de leur adresse à l’empereur. Aussitôt les troupes s’avançaient contre eux, les dispersant par les armes, les foulant sous les pieds des chevaux. Plus de trois cents étaient arrêtés et entassés dans tous les postes de police avec des malfaiteurs ; ils sont restés depuis enfermés dans la forteresse de Petropaulov et à Cronstadt. Cette violence de répression n’a eu d’autre résultat que de faire éclater dans toute la société russe la plus vive sympathie pour les étudians. Les dames de la plus haute aristocratie de Moscou intervenaient en leur faveur, et employaient toute sorte de moyens ingénieux pour adoucir leur sort dans les prisons. Le peuple même, qu’on avait cherché d’abord à exciter contre les étudians en les représentant comme des fils de nobles qui voulaient demander à l’empereur la révocation de l’édit d’émancipation des paysans, le peuple ne tardait pas à s’apercevoir