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de toutes les universités russes témoigner leurs sympathies à leurs camarades polonais. Un grand nombre se rendit au service funèbre organisé par les Polonais dans l’église catholique de Saint-Pétersbourg pour célébrer la mémoire des victimes de Varsovie. Un fait plus curieux encore eut lieu à Kasan à l’occasion de cette échauffourée de paysans dont j’ai parlé. Les étudians de l’université firent célébrer un service religieux pour les paysans tués pendant l’insurrection. Il n’y eut alors qu’un cri dans les régions officielles pour demander la réforme des universités. Une véritable tempête s’éleva contre le ministre de l’instruction publique, M. Kovalevski, qui se trouvait ainsi sommé par les généraux, par les hommes de cour, de mettre un frein au désordre universitaire aussi bien qu’à la hardiesse de la littérature.

Une réforme, elle était nécessaire sans doute depuis le jour de l’avénement d’Alexandre II, d’autant plus nécessaire que les désordres dont on se plaignait n’étaient, à vrai dire, que l’expression d’une incompatibilité réelle entre la plupart des règlemens survivans du dernier règne et les circonstances nouvelles nées du changement rapide des idées, de l’accroissement considérable du nombre des étudians. La meilleure réforme eût consisté à donner une organisation plus large et plus libre aux universités. M. Kovalevski lui-même n’était point éloigné de cet avis. Il hésita pourtant, il employa les demi-moyens ; puis, pressé par les événemens, il finit un jour par présenter un projet conçu au fond d’après les principes qui régissent les universités allemandes. M. Kovalevski était un homme nouveau qui n’avait point malheureusement à la cour une position assez forte pour entrer en lutte ouverte avec l’esprit de réaction. Un comité fut nommé pour examiner son projet, et quels étaient les membres de ce comité ? C’était le général Strogonof, le prince Dolgoroukof, commandant de la gendarmerie, et le comte Panine, ministre de la justice. Le nom de ces hommes était d’avance la critique la plus sanglante de l’œuvre de M. Kovalevski, qui se retira indigné, cédant le ministère de l’instruction publique à l’amiral Poutiatine.

J’ai nommé le général Strogonof comme un des membres du comité chargé d’examiner la question des réformes universitaires. : Le général Strogonof est un des personnages les plus importans aujourd’hui par son éducation, par son intelligence supérieure à celle de la plupart des autres généraux, et son influence à la cour est attestée par sa position de gouverneur du prince impérial. Il était dans une demi-disgrâce sous l’empereur Nicolas, qui le traitait presque en libéral ; il vivait à Moscou, où il était curateur de l’université, protégeant l’enseignement et ayant des momens d’humeur contre la cour. Aujourd’hui c’est le type du vieux seigneur russe