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sections placées l’une à Moscou, l’autre à Saint-Pétersbourg. Les principaux postes, selon l’habitude, furent confiés à des généraux. Cette organisation à la vérité coûta des sommes énormes ; mais on attendait les plus grands résultats de l’institution nouvelle. Ce qu’il y eut de plus clair, ce fut une multitude de dispositions draconiennes créant dix censures au lieu d’une. Qu’on en juge : si un article par exemple traitait des impôts, il devait, après avoir subi la censure, être revu par le ministre des finances ; s’il traitait de l’armée, il devait être soumis au ministre de la guerre ; s’il traitait enfin de questions embrassant tous les intérêts publics, il devait passer par tous les ministères, sauf à revenir mutilé de toute façon après quelques mois, si encore il revenait. On alla plus loin même, on institua une autre censure chargée de revoir, après l’impression, les articles autorisés par la première censure, Ce luxe de surveillance et de répression a-t-il été du moins efficace ? Nullement ; la littérature militante a soutenu vaillamment la lutte, elle a rivalisé d’inventions ingénieuses, mettant chaque jour la censure aux abois, si bien que récemment le nouveau ministre de l’instruction publique, l’amiral Poutiatine, imaginait un perfectionnement inattendu dans l’art de pourchasser la pensée : il proposait d’infliger un châtiment personnel à tout écrivain dont trois articles auraient essuyé les rigueurs de la censure. Ce procédé, il est vrai, n’a point été accepté ; il montre seulement dans quel genre de lutte est engage le gouvernement russe, et ce qu’il y a de vivace dans cette littérature qui s’est mise au service des idées nouvelles.

La guerre une fois engagée contre la littérature, la réaction s’est étendue bientôt aux universités, même à ces innocentes écoles du dimanche qu’une libre initiative avait créées, et contre lesquelles on a éveillé les méfiances de l’empereur en les représentant comme autant de sociétés secrètes destinées à propager de dangereux instincts dans le peuple. Pendant les premières années du règne, on le sait, le gouvernement fixait peu son attention sur les universités, et il en résultait une sorte de liberté spontanée dans ces vastes foyers d’instruction. Les étudians n’étaient pas seulement plus nombreux, ils prenaient des mœurs nouvelles ; de leur propre mouvement ils créaient pour leur usage diverses institutions, des bibliothèques, des cercles de lecture, des caisses de secours ; Ils se réunissaient souvent et en grand nombre, discutant les règlemens universitaires, tenant tête aux autorités académiques, jugeant librement leurs professeurs. Cette jeunesse ardente ne pouvait manquer de ressentir toutes les excitations de la politique ; elle était au premier rang dans le mouvement général, et au commencement de 1861, lorsque les événemens de Pologne éclatèrent, on vit les étudians