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militaire, l’état-major, les écoles du génie et de l’artillerie, le corps des cadets, sont intimement pénétrés de cet esprit. M. Hertzen y est en honneur ; les officiers et les cadets se mêlent aux étudians, aux écrivains, et prennent part quelquefois à leurs démonstrations. Les établissemens militaires, depuis quelque temps, ne sont pas à l’abri d’une certaine humeur d’insubordination embarrassante. Il y a un an, un jeune officier fut renvoyé de l’école du génie ; une révolte suivit cette expulsion, qui semblait injuste. Tous les autres officiers demandèrent le rappel de leur camarade, et, sur le refus qu’ils essuyèrent, près de deux cents voulurent subir le même sort. Tous les moyens furent employés pour les apaiser ; l’inspecteur-général du génie, le grand-duc Nicolas lui-même, frère de l’empereur, pria, insista, menaça : tout fut inutile, et le gouvernement se vit obligé de disperser ces jeunes gens dans les divers régimens, au fond de la Russie. Plus récemment encore, des officiers d’artillerie ont dû être envoyés sur les frontières de la Sibérie. Depuis le manifeste d’émancipation des paysans surtout, il se fait dans l’armée et jusque dans la garde impériale, dit-on, une propagande aussi active que dangereuse. Les officiers des corps employés aux répressions éprouvent une répugnance visible, et la discipline se ressent de cet esprit nouveau qui envahit l’armée elle-même.

Le corps des marchands russes, bien que nombreux et riche, est peut-être jusqu’ici la classe la moins instruite, la plus imbue de vieux préjugés. Cette classe, elle aussi, commence pourtant à ouvrir les yeux. Les marchands lisent maintenant les journaux et subissent l’influence des idées dont l’expression les séduit ; ils murmurent contre les abus de l’administration et de la police, contre les privilèges qui élèvent une barrière entre eux et la noblesse. Les crises prolongées du crédit et du commerce, dont ils rendent, selon l’habitude, le gouvernement responsable, augmentent leur mécontentement. Chose remarquable, les radicaux sont parvenus dans ces derniers temps à attirer dans leur camp quelques-uns des membres les plus opulens de la classe commerciale. Il s’est trouvé des négocians, des spéculateurs, des fermiers d’eau-de-vie, qui, semblables aux fermiers-généraux français d’autrefois, protègent les lettres, rassemblent chez eux les écrivains, subviennent libéralement à la rédaction des journaux et secondent toutes les entreprises qui ont le progrès pour but. Or les marchands, surtout ceux de Moscou, de Nijni-Novgorod et de Kasan, possèdent des capitaux immenses, et c’est une force qui ne laisserait pas d’ajouter aux embarras du gouvernement le jour où elle s’unirait décidément à la noblesse et aux classes inférieures.

Dans quelle mesure enfin le clergé russe participe-t-il à ce travail