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cela s’explique surtout par cette circonstance, que l’organisation universitaire a le privilège en Russie d’être restée à peu près libre du fléau bureaucratique, d’avoir gardé une certaine autonomie dans son existence.

Ce goût nouveau pour tout ce qui touche à l’instruction publique s’est révélé récemment dans une création due exclusivement à l’initiative individuelle : je veux parler des écoles du dimanche qui se sont formées il y a quelque temps à Saint-Pétersbourg et à Moscou. Une fois l’idée conçue, on se mettait ardemment à l’œuvre, on ouvrait des souscriptions pour vivifier l’institution nouvelle. Ce sont des écoles destinées aux classes pauvres, et où l’enseignement est donné par des étudians des universités, par des fonctionnaires, par de riches particuliers et même par des femmes. Le gouvernement ne participe en rien à l’entretien des écoles du dimanche, qui vivent entièrement de souscriptions publiques, et il y a là assurément un fait significatif dans un pays où jusqu’à ce moment la bureaucratie absorbait tout, était l’unique motrice de la vie sociale. L’aristocratie russe commence, sous ce rapport, à se modeler sur celle de l’Angleterre, et les femmes de la plus haute naissance jouent le rôle le plus actif dans toutes ces œuvres ; elles paient hardiment de leur personne, car les dames en Russie, il faut le dire, joignent souvent à une éducation très soignée une énergie de caractère et un courage que les hommes n’ont pas toujours.

De cet ensemble de causes agissant à la fois sous l’influence d’un entraînement commun est né un phénomène extraordinaire et saisissant. La société russe a complètement changé d’aspect ; elle a laissé voir dans ses profondeurs, et On a vu la confiance dans le système de gouvernement perdue ou du moins très affaiblie, l’esprit de mécontentement et d’opposition grandissant et cherchant toutes les occasions de se produire, un vrai soulèvement d’opinion contre les corruptions administratives, la raillerie se tournant contre les plus hautes figures officielles, contre tout ce qui était un objet de culte superstitieux ou de crainte, les rangs, les décorations, les bonnes grâces du tsar, la bureaucratie, l’omnipotence des généraux, enfin un vague et universel besoin de larges et sérieuses réformes. On s’est mis à discuter tous ces vieux privilèges, toutes ces prescriptions surannées et parfois odieuses, tous ces règlemens qui interdisent aux bourgeois et aux marchands d’acquérir des propriétés foncières, qui soumettent quiconque n’est pas noble à la peine corporelle des verges, qui organisent la société tout entière comme un régiment et la parquent administrativement dans ces fameuses quatorze classes (tchine), en dehors desquelles il n’y a rien. Une certaine liberté de parole s’est fait jour par toutes les issues ; on a parlé