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croix et l’a jetée dans l’abîme. Entends-tu cette croix, espoir de millions de malheureux, tomber d’étoile en étoile ? Elle se brise enfin et couvre de ses débris l’univers tout entier. La très sainte Vierge seule prie encore, et les étoiles ses servantes lui sont encore fidèles ; mais elle ira aussi où va le monde entier. »


Entre ces scènes de la vie privée si vigoureusement esquissées et celles de la vie publique qui se dérouleront bientôt vient se placer dans le poème comme une idylle mélancolique : c’est une suite d’épisodes entre le père et l’enfant, le veuf et l’orphelin. Rarement imagination de poète à créé une figure d’une grâce aussi pure et d’un symbolisme aussi profond que ce petit George. Les vœux de la pauvre mère n’ont été que trop exaucés : son fils est poète comme le comte, plus que lui encore, car il ne recherche pas les émotions, elles naissent spontanément dans son cœur ; son âme vibre comme une harpe, les images tourbillonnent malgré lui dans son cerveau et « lui font mal à la tête. » Il récite des chansons douces et harmonieuses, il dit les savoir de sa mère, qu’il n’a pourtant jamais connue, et il assure entendre parfois des voix célestes ; mais il est chétif à l’extrême malgré une grande puissance nerveuse. Arrivé à l’âge de dix ans, l’enfant dépérit, devient aveugle, et ne regarde plus qu’en lui-même. On devine aisément que le poète a voulu personnifier dans George ces natures chastes et contemplatives, telles que l’on en rencontre souvent au milieu des sociétés agitées et dans des temps difficiles, âmes naïves et délicates, à la pensée haute et au sens raffiné, mais craintives et renfermées en elles-mêmes, aveugles aux choses de la terre, ne comprenant rien à ces vulgarités du monde, qui en sont pourtant les nécessités. Le petit George a l’instinct religieux très prononcé ; il voudrait toujours prier, il rapporte toute chose à Dieu. Ne nous trompons pas cependant : ce n’est pas là la foi, ce n’est que le besoin de croire, c’est plutôt le désir que la certitude. La piété de l’enfant procède encore trop de la poésie du père, et l’auteur l’indique par un trait ingénieux. Le comte mène son fils au cimetière ; George s’agenouille devant la tombe de sa mère et récite l’Ave : « Salut, Marie pleine de grâce divine, reine des cieux, maîtresse de tout ce qui s’épanouit sur la terre, dans les champs, au bord des fleuves… » Le père l’arrête et le reprend. Il recommence : « Salut, Marie pleine de grâce, le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre tous les anges, et que chacun d’eux, quand vous passez, arrache un rayon de ses ailes et le jette sous vos pieds !… » Qui ne connaît ce penchant à suppléer à la foi par la poésie, à orner les paroles de l’Évangile et à enjoliver le Golgotha ! Est-ce bien là de la religion ? C’est une religion qui pourra procurer des jouissances intimes et des ravissemens mystérieux : elle ne donnera