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ne ressemble à rien de ce que l’Europe connaît. L’esprit démocratique et mercantile, par un phénomène curieux, y a produit des combinaisons qui pour nous se rattachent aux temps de la féodalité et de l’ancien régime. On y voit, comme dans l’ancienne organisation militaire de la France, si bien exposée dans l’excellente Histoire de Louvois que vient de publier M. Camille Rousset, des compagnies formées à l’entreprise et des espèces de colonels propriétaires ! Pour s’y introduire, la discipline a eu à lutter contre l’influence des mœurs civiles des États-Unis, contre le système d’élection des officiers par les volontaires, et contre l’autorité jalouse des gouverneurs d’états intervenant entre les troupes et le pouvoir central : curieuse armée, dont on ne saurait dire si elle est une armée de mercenaires, ou une armée nationale, ou une armée de volontaires. Ce sont des mercenaires, comme les appellent les gens du sud, puisqu’ils prennent la profession des armes pour vivre et spéculent sur la haute paie qu’ils reçoivent ; mais comment les appeler des mercenaires, puisqu’ils ne sont pas des étrangers ? Les soldats que l’Union a rassemblés par centaines de mille représentent tout aussi bien qu’une armée de conscrits toutes les classes qui composent la nation et en reflètent l’esprit. Ils comptent, il est vrai, dans leurs rangs cinquante ou soixante mille Européens ; ce n’est qu’une juste proportion accordée à la population des émigrans, qui, établis depuis quelque temps aux États-Unis font déjà partie de la nation et commencent à jouer un rôle important dans toutes ses affaires. Le soldat américain a enfin du volontaire l’inexpérience et l’impatience de la discipline ; mais il a moins d’enthousiasme que lui. On le dit en revanche intelligent et dur à la fatigué. Singuliers élémens avec lesquels le général Mac-Clellan, en s’aidant des officiers et des soldats des anciennes troupes régulières aguerries par la vie des prairies, compose une armée qui peut devenir formidable, et qui semble appelée à exercer sur les destinées des États-Unis reconstitués une sérieuse influence, quoique voilée encore par les incertitudes mystérieuses de l’avenir !

L’esprit public peut difficilement porter à la fois deux grandes préoccupations, et nous ne serions pas surpris que l’anxiété causée par les affaires d’Amérique eût fait tort à la grande question qui était, il y a quelques jours, soumise aux délibérations de notre sénat.

Nous l’avouerons sans détour, la discussion du sénatus-consulte qui doit introduire une plus étroite régularité dans la confection et le vote de nos budgets n’a point répondu à notre attente. Nous nous étions figuré que l’initiative prise à cet égard par le gouvernement, et dont l’empereur a laissé publiquement l’honneur à M. Fould, devait exciter dans nos assemblées politiques une généreuse émulation. Un grand objet leur était proposé : établir les finances de la France sur des bases puissantes et stables, contenir les dépenses dans les limites des ressources, rendre à notre politique financière sa liberté d’action, en l’affranchissant autant que possible de ces dettes exigibles à courte échéance qui mettent un pays à la merci de cir-