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Il faut, en effet que les peuples de l’Europe dont l’influence s’étend au-delà des mers, il faut que la France aussi bien que l’Angleterre prennent en considération l’avenir des États-Unis. Les puissances européennes, la France à leur tête, se sont hâtées, dans l’affaire du Trent, de se prononcer pour la légitimité des réclamations anglaises. Cette intervention morale dans le différend anglo-américain a été de notre part toute gratuite. La France, comme M. Thouvenel le rappelle dans sa dépêche du 3 décembre, est liée par des traités avec les États-Unis aux mêmes principes de droit maritime ; l’Angleterre n’ayant pas admis ces principes, on pourrait comprendre que les États-Unis fissent à l’Angleterre l’application des règles de droit maritime qu’elle professe, sans que nous fussions autorisés par de tels actes à douter de la fidélité de la république américaine à remplir les obligations qu’elle a contractées envers nous. Nous ne regrettons pas cependant que la France et l’Europe aient fait connaître à l’Amérique leur pensée unanime sur l’affaire du Trent. Cette manifestation d’opinion peut être d’un grand secours pour le gouvernement de Washington. Il sera plus facile à ce gouvernement, qui a besoin de popularité, de consentir à des réparations lorsqu’il aura l’air de céder non plus seulement à un ultimatum appuyé d’une menace de guerre, mais à l’opinion unanime des gouvernemens amis et désintéressés de l’Europe. Nous voyons donc dans la dépêche de M. Thouvenel une marque effective d’intérêt donnée aux États-Unis. La France, si par malheur la guerre ne peut pas être prévenue, doit sans doute demeurer neutre ; mais si elle pouvait quelque chose pour prévenir la guerre, qui ne souhaiterait de lui voir consacrer à une telle œuvre ses plus sincères efforts ?

Nous ne pouvons assister avec indifférence à cette crise, qui menace de dissolution la partie la plus vivace de l’Amérique. Le cynisme avec lequel le sud semble avoir voulu lier pour toujours sa cause à celle de l’esclavage, le grand principe du travail libre sur lequel repose la prospérité du nord, ne permettent pas aux sentimens généreux d’hésiter entre les deux partis. Les plus pressans intérêts doivent nous faire désirer la prompte fin de cette crise, à laquelle une guerre étrangère donnerait une durée et des proportions plus dangereuses en augmentant les souffrances que l’Angleterre, la France et toute l’Europe en ressentent indirectement. Or la crise américaine ne peut finir que par le rétablissement de l’union. La doctrine sécessioniste, si elle était consacrée par le succès, serait pour les états de l’Amérique septentrionale, pour ceux du nord comme pour ceux du sud, une cause permanente de dissolution. Elle se reproduirait partout et à tout propos. L’état se séparerait de l’état, le comté du comté, la commune de la commune. On tomberait, comme dans l’Amérique méridionale, en une anarchie qui n’aurait pour remède que de mobiles dictatures, suscitées et renversées par la violence. Si la guerre civile actuelle se prolonge, ou si la fatalité veut qu’elle soit compliquée d’une guerre étrangère, le nord sera