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Le legs le plus redoutable de l’année qui expire est la querelle anglo-américaine provoquée par l’affaire du Trent L’issue de ce conflit peut être si grave qu’il est impossible que l’attention ne se détourne point des affaires intérieures de l’Europe pour s’absorber sur les nouvelles d’Amérique jusqu’à ce que les choses aient pris enfin un tour décisif. La menace de ce terrible duel des deux fractions de la race anglo-saxonne tient le monde entier en suspens. Cette année se ferme sans que nous sachions encore si les États-Unis accorderont la réparation qui leur est demandée par l’Angleterre. Les dernières dépêches disent bien, d’après les journaux de New-York, que le gouvernement de M. Lincoln ne rendra pas la liberté à MM. Mason et Slidell ; mais les affirmations de la presse de New-York n’ont aucun caractère officiel, et nous restons encore dans le doute. Il nous est cependant difficile d’espérer que le gouvernement américain enlève du premier coup tout prétexte à la guerre par la restitution des commissaires du sud. Les manifestations populaires si favorables au capitaine Wilkes, les approbations officielles données à cet officier, la promotion qui l’a récompensé, le caractère des prisonniers considérés par la masse des unionistes non comme des ambassadeurs ennemis, mais comme de coupables rebelles, la situation du gouvernement américain, qui a besoin de toute sa force morale et de l’adhésion passionnée du peuple pour faire face à une si vaste guerre civile, tout donne à croire que le président et ses ministres ne pourront pas céder à la première sommation d’un gouvernement étranger contre lequel le peuple américain nourrit de si vives préventions. Il nous paraît donc probable qu’il ne sera pas donné satisfaction à l’ultimatum du cabinet anglais, et que lord Lyons quittera l’Amérique. La rupture des relations diplomatiques est un fait bien grave assurément ; mais ce n’est point encore la guerre. C’est après le départ de lord Lyons, après les contre-propositions que le cabinet de Washington ne manquera pas d’adresser au gouvernement anglais, qu’il importera que l’opinion publique, non-seulement en Angleterre, mais en Europe, prenne en sérieuse considération la situation des États-Unis et la perspective de cette guerre dont on sera menacé.

Le gouvernement anglais, nous le savons, a posé la question sur un terrain de droit strict où en effet sa cause paraît si invincible qu’il ne lui semble pas permis de l’affaiblir par des concessions. L’Angleterre ne discute point la question de savoir si MM. Mason et Slidell pouvaient être considérés comme contrebande de guerre et pouvaient à ce titre être saisis à bord d’un navire neutre : l’Angleterre se borne à nier qu’un officier, pût s’ériger en juge dans une telle cause, dont la décision ne devait appartenir qu’à une cour d’amirauté. Le capitaine Wilkes se substituant arbitrairement à l’autorité judiciaire, seule compétente pour donner un caractère légal à sa prise, l’Angleterre ne peut voir, dans l’acte qu’il a commis sur le Trent qu’un fait de violence, qu’un outrage accompli contre le pavillon britannique. Enfermée dans ces termes de légalité rigoureuse, la protestation