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le rang d’un habile caricaturiste. L’esprit de parti, l’opposition politique étaient aussi venus en aide à cette popularité au moment où il avait débuté. C’était en 1816 ou 1817, alors que les humiliations infligées à la France à la suite de nos désastres avaient exalté au plus haut point le sentiment national ; mais rien ne contribua autant à son succès que ces légendes d’un comique si amusant qui accompagnent presque tous ses dessins, et dont une grande partie sont devenues des proverbes. Peut-être est-ce un don malheureux de notre race que cette manie de l’esprit qu’on veut mettre dans tout, et qui gâte tant d’ouvrages de littérature, où du moins cette recherche pourrait à la rigueur sembler plus à sa place : elle est mortelle dans la peinture, qui tire ses moyens d’effet d’une source toute différente. L’attention que vous sollicitez pour des idées ingénieuses distrait la pensée de la signification morale de l’image présentée aux yeux, de son sens mystérieux et profond, qui ne veut point être analysé, et qui excite la rêverie au moyen d’un langage particulier, qui n’est point celui de la langue écrite ou parlée. C’est donc un phénomène des plus rares que l’apparition de ces étonnantes productions douées au plus haut degré de tous les mérites de la peinture, et auxquelles une sorte d’explication amusante pour l’esprit n’enlève aucun des mérites inhérens à l’art. C’est le contraire de ce qu’on a récemment appelé, dans un jargon emprunté aux Anglais, des illustrations, où le peintre s’empare de l’idée du poète pour la commenter à sa façon : chez Charlet, c’est sa création de peintre qu’il semble résumer pour l’esprit de tout le monde par un mot piquant ou philosophique.

Que de dessins admirables et que de charmantes idées, que de sentiment et que de verve, que de scènes comiques ou attendrissantes dans cette vaste comédie humaine, dans ces images doublement parlantes qui s’adressent au cœur et à l’esprit ! Les personnages de Charlet sont à lui ; ils ont la tournure et l’accent qu’il a voulus. Il ne connaît pas ce tourment de l’auteur dramatique obligé de confier le sort, c’est-à-dire l’effet, l’expression de ses idées, au hasard de l’exécution sur la scène, celle de l’acteur en un mot qui, changeant de perruque sans changer de masque, vient rendre sous les mêmes traits et presque avec les mêmes inflexions de voix le rôle d’un Tartufe et d’un Ariste, celui d’un Alceste et d’un Purgon. Molière lui-même était, dit-on, un médiocre interprète de ses propres pièces, et il est probable que les acteurs les plus admirables ne l’eussent pas facilement contenté. Tout au contraire il ne faut au peintre qu’un cadre et la lumière suffisante pour éclairer son tableau. Charlet est plus heureux encore : ses productions, comme celles du poète, peuvent se voir partout ; elles se répandent comme