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dans l’ordonnance royale un paragraphe accordant à la grande propriété le droit de présenter au roi quatre-vingt-dix membres comme candidats à la pairie viagère. On ajouta cette clause : que, pour exercer le droit de présentation, il fallait être ou propriétaire d’un bien noble ayant appartenu depuis un siècle au moins à la même famille, ou titulaire d’un majorât, d’un fief ou d’un fidéi-commis. C’était exclure d’une manière absolue les propriétaires bourgeois, le droit d’acquérir des biens nobles n’étant assuré à la bourgeoisie prussienne que depuis cinquante ans. On a trouvé depuis que, sur 12,500 biens nobles, 1,300 seulement répondaient aux conditions mentionnées ; 1,300 gentilshommes étaient donc de fait électeurs nés de la moitié de la chambre des seigneurs. Cette assemblée, pendant les six années qui viennent de s’écouler, n’a que trop justifié les antipathies qu’elle inspira dès le premier jour à la masse de la nation ; elle a été l’ardent auxiliaire, du ministère Manteuffel, dont elle a souvent stimulé le zèle réactionnaire, et lorsque la régence est venue inaugurer un régime plus libéral, elle a entravé par une opposition systématique l’action du nouveau ministère. L’opinion se souleva donc contre une assemblée qui, ne représentant qu’une minime fraction du pays, tendait à absorber à son profit le pouvoir gouvernemental. Au sein de la chambre basse, on souleva la question de savoir s’il ne convenait pas de déclarer illégale la composition de la chambre des seigneurs. Le parti modéré parvint à écarter une résolution qui, avec ceux qu’elle frappait directement, eût atteint l’œuvre législative tout entière de neuf années. Le ministère au surplus intervint à temps : il renforça par des nominations nouvelles la minorité libérale de la chambre haute ; de plus il réduisit de 90 à 41 membres le nombre de ceux qui à l’avenir pourraient être présentés pour la pairie par les grands propriétaires, — mesure, il est vrai, qui ne produira son effet qu’à la mort des titulaires actuels.

Le parti féodal, sentant très bien le danger qui le menaçait, a fait, à l’occasion des élections de 1861, un suprême effort pour ressaisir le pouvoir, ou du moins pour montrer qu’il était toujours nécessaire de compter avec lui. Ni plus, ni moins que s’ils étaient des libéraux, les gentilshommes prussiens organisaient récemment des meetings. Ils essayaient même de démontrer aux artisans et aux ouvriers que leurs intérêts et ceux de l’aristocratie étaient identiques. Sous le nom de « comité central conservateur, » l’on créait à Berlin le foyer d’une vaste propagande féodale, annoncée par de pompeux prospectus. On suppliait les artisans de venir à Berlin, où l’on promettait, à ceux qui le demanderaient, logement, nourriture, promenades et distractions gratuites ; on rappelait les dangers auxquels le « libéralisme creux » exposait le pays, on plaignait les pauvres