Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/229

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

donc, conclurent les adversaires du projet, des garanties sérieuses pour le maintien du système libéral avant de consentir aux demandes du gouvernement. L’armée, disent les progressistes, appartient à la petite noblesse, la chambre haute appartient à la grande aristocratie ; on marchande à la chambre basse ses prérogatives, au pays ses libertés, et l’on vient nous demander de nouvelles armes pour fortifier nos ennemis ! Que le gouvernement fasse acte de bonne volonté, et qu’il donne une autre organisation à la chambre haute pour qu’elle ne puisse plus se placer impunément en dehors de la charte, en rejetant les lois organiques prévues par la constitution. — L’augmentation de l’armée en échange de la réforme de la chambre des seigneurs, tel était donc, à la veille des élections générales, le mot d’ordre des progressistes.


III

Si la démocratie prussienne se plaint de la position privilégiée faite à la noblesse, celle-ci au contraire est d’avis que depuis longtemps on la frustre de ce qui lui appartient par droit de naissance. Tout le monde, disent les gentilshommes du Brandebourg et de la Poméranie, nous a spoliés, même la dynastie de Hohenzollern, qui est venue s’installer sur nos terres, qui s’est interposée entre nous, seigneurs, et le peuple, qui est notre chose. Le grand Frédéric et son successeur Frédéric-Guillaume II nous ont réintégrés en partie dans nos privilèges, et le règne suivant essayait de nous les arracher de nouveau, lorsque la réaction européenne après 1818 est venue l’arrêter dans cette voie révolutionnaire.

En effet, dès cette époque, la noblesse règne et gouverne en Prusse : à elle l’armée, la diplomatie, les portefeuilles ministériels, les postes supérieurs dans les tribunaux, dans l’administration ; à elle l’administration départementale, et par-dessus tout la juridiction patrimoniale, la police dans les campagnes, le patronat des églises, sans compter le privilège de ne pas payer l’impôt foncier et celui d’avoir des paysans corvéables. Eh bien ! cette aristocratie si bien dotée éprouvait aussi le besoin de parlementer avec le souverain, et, tout en faisant la guerre aux doctrines constitutionnelles, elle redemandait le rétablissement des états abolis au XVIIe siècle par le grand-électeur Frédéric-Guillaume, c’est-à-dire de ces assemblées où les voix de la noblesse comptaient plus que celles des bourgeois et des paysans réunis. Croyant pourvoir toute seule à ses affaires, l’aristocratie fut amenée, malgré elle et peu à peu, sur le terrain d’un parlementarisme abhorré. Les rois Frédéric Guillaume III et IV pouvaient bien restaurer les états du XVIIe siècle ;