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homme d’action : gardons-le pour notre chambre prussienne ! » Le mot est juste. En effet, les savans se pressèrent à Francfort, et la petite bourgeoisie, les hommes d’action, affluèrent à Berlin : les uns représentant le libéralisme modéré, spéculatif ; les autres, organes de l’opinion avancée ou démocratique. Ceux-ci formaient une immense majorité à l’assemblée de Berlin, et, selon la coutume des majorités, marchèrent avec tant de précipitation vers leur but, qu’ils ne s’aperçurent des obstacles que lorsqu’il fut trop tard. La royauté s’était relevée peu à peu de sa chute, et la constituante démocratique de Berlin fit place à une nouvelle assemblée, également sortie du suffrage universel, mais pondérée par une chambre haute. Un grand nombre de libéraux prussiens désertèrent aussitôt les bancs du parlement de Francfort pour venir siéger à la chambre de Berlin, où ils se proposaient de contenir l’impétuosité du parti démocratique ; mais modérés et avancés ne tardèrent pas à faire cause commune contre la réaction, et une nouvelle dissolution s’ensuivit. Afin d’empêcher la réélection des anciens députés, le ministère octroya une nouvelle loi électorale reposant sur le scrutin public, et obtint par cette mesure un résultat qui dépassa peut-être ses espérances : la guerre entre les modérés et les démocrates. Ceux-ci déclarèrent illégal l’octroi de la loi électorale, et refusèrent leur participation aux élections ; les modérés, sans discuter la question de légalité, crurent devoir accepter la lutte contre la réaction sur le terrain que leur abandonnait le pouvoir. La démocratie prussienne s’effaça ainsi de la vie publique, où son règne passager avait laissé cependant des traces profondes. En effet, tout en sévissant contre les hommes de l’assemblée nationale, le gouvernement, faute d’autres travaux, avait été obligé de s’approprier les projets de loi préparés par les chefs éminens de la constituante : la charte actuelle de la Prusse, les bases de la plupart des réformes opérées depuis dans les différentes branches de la législation, sont calquées sur des projets rédigés par les comités de cette assemblée.

L’abstention de la démocratie aux élections de 1849 désorganisa ce parti si complètement que, lorsqu’il tenta plus tard de rentrer en lice, il ne se retrouva plus. Il fallut toutes les fautes du ministère Manteuffel pour rassembler en un faisceau les élémens divergens du libéralisme. Le parti démocratique, éclairé par les événemens, ramena ses doctrines au niveau d’une politique pratique et se rencontra ainsi avec un grand nombre de libéraux décidés à agir avec plus d’énergie que par le passé. C’est devant cette sérieuse coalition que tomba en 858, après l’établissement de la régence, le cabinet Manteuffel-Westphalen. Aux élections générales de 1858, les démocrates votèrent généralement en faveur des candidats modérés, partisans ou amis du ministère Hohenzollern-Auerswald. Ils avaient