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ce temps d’épreuves. À la fin, l’opinion démocratique elle-même fut entraînée vers ces hommes qui, faute de mieux, avaient sauvé les formes parlementaires.

L’établissement de la régence amena au pouvoir quelques-uns des chefs de l’opposition libérale. Grâce à ce changement de personnes et de système, les différentes nuances du libéralisme s’allièrent pour appuyer la nouvelle administration, non pas, il est vrai, en la servant aveuglément, mais en la maintenant dans la voie où elle s’était engagée. Guillaume de Humboldt, qui parlait d’expérience, a dit quelque part : « Un libéral peut devenir ministre, sans devenir pour cela un ministre libéral ! » Mot profond et qui n’a pas nécessairement un sens blessant pour celui à qui on l’applique. C’est que l’homme d’état au pouvoir voit forcément les choses autrement qu’il ne les voyait lorsqu’il siégeait sur les bancs de l’opposition. L’art de la politique consiste justement dans la conciliation de ce qui est désirable avec ce qui est praticable. Le ministre d’un état plus monarchique que constitutionnel ne peut rien faire contre le gré du souverain : s’il y a conflit entre le prince et l’opinion, le ministre risque toujours, en contentant l’un, de déplaire à l’autre. Le ministère Hohenzollern-Auerswald, après quelques mois d’exercice, devint l’objet des critiques de ses anciens amis politiques. Le parti démocratique, aux élections générales de 1858, avait eu le bon esprit de faire acte d’abnégation en portant ses voix sur les libéraux modérés : il comprit qu’il ne fallait pas, par des élections trop accentuées, effrayer la cour et lui faire regretter les concessions faites au libéralisme. En effet, la majorité de la chambre basse de 1859 ne demandait que la réalisation du programme du prince-régent, et promit au ministère son concours sur cette base. Malheureusement le bon accord ne fut pas de longue durée, ni entre la majorité et le cabinet, ni entre les diverses fractions des libéraux. Avant la fin de la première session, plusieurs grandes questions de politique intérieure et extérieure firent éclater des dissentimens d’ancienne date. Sur les affaires d’Italie et d’Allemagne, la chambre et le ministère ne purent s’entendre. La cour de Berlin témoigna des sympathies médiocres pour l’unité de l’Italie, et elle désavoua l’agitation unitaire du National-Verein de Cobourg avec une énergie qui déplut fortement aux députés libéraux. La chambre exprima ses sentimens à ce sujet dans deux votes mémorables. Enfin la question militaire vint complètement désunir les partis. Ici quelques détails deviennent nécessaires.

La Prusse, la plus faible des cinq grandes puissances européennes, est obligée, par sa configuration territoriale et par l’étendue de ses frontières, d’entretenir une armée en disproportion avec ses ressources financières. Les secousses révolutionnaires de 1848,