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ne jouissent pas encore d’un crédit suffisant pour compter avec certitude sur l’appui de leurs amis politiques. On se groupe autour de telle opinion et non pas autour de tel homme. D’ailleurs jusqu’à présent, en Prusse, ce ne sont point les majorités parlementaires qui désignent les ministres au choix du souverain : celui-ci désigne les candidats selon le degré de confiance qu’ils lui inspirent. On s’explique donc aisément que le ministère Hohenzollern-Auerswald, au lieu de songer à la formation d’un parti ministériel, se soit attaché plutôt à obtenir une majorité gouvernementale. C’est ainsi seulement qu’il se sentait assez fort pour prendre, comme par le passé, la défense des principes libéraux devant le souverain, tandis que le parti réactionnaire ne cesse de présenter ces principes comme anti-monarchiques. Les circulaires électorales du ministre de l’intérieur, M. le comte Schwerin, ont trahi cette préoccupation du cabinet. Le ministre a soin de rappeler aux autorités préposées aux opérations électorales que la consolidation du système constitutionnel dépend du résultat des élections. La couronne non affaiblie, l’observation de la constitution, de sages réformes, voilà ce que veut le ministère, et il exhorte le public à se tenir en garde contre toutes les opinions extrêmes. Puis, voyant que le public trouve ce langage trop vague, le ministre de l’intérieur, serré de près, proclame comme sien le programme renfermé dans l’allocution du prince-régent du 8 novembre 1858. Il insiste de nouveau sur la nécessité de naviguer entre le Scylla réactionnaire et le Charybde démocratique, et déclare d’avance la guerre à tout ce qui irait au-delà du manifeste de 1858. En revanche, le comte Schwerin défend aux fonctionnaires d’agir sur la conscience des électeurs autrement que par la voie de la persuasion et en les éclairant sur les intentions du gouvernement. « Le gouvernement, dit-il, ne croit point qu’un résultat favorable (dans le sens ministériel) des élections ait une valeur quelconque lorsqu’il a été obtenu par des moyens qui empêchent la véritable opinion du pays de se faire jour ; par conséquent, le gouvernement repousse toute espèce de violence qui serait tentée pour influencer les élections. De semblables élections ne donnent à la longue aucun appui au gouvernement ; elles sont de plus contraires à la loi, elles minent le respect des lois, partant l’autorité du pouvoir, et je défends formellement l’emploi de pareils moyens. »

Ainsi le ministère voulait des élections sincères, qui ne fussent pas influencées par l’administration, mais il les voulait en même temps très modérées. En exprimant ce désir, il faisait appel surtout au parti qui l’avait compté naguère dans ses rangs, et dont il avait dirigé avec tant de talent l’opposition énergique contre l’administration de M. de Manteuffel. C’est ce parti qui, dans l’espace de dix années, s’est appelé tour à tour libéral, constitutionnel, parti de