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depuis la première maladie du roi jusqu’à la transmission de la régence au prince de Prusse. Ce qui en a transpiré jusqu’ici semble indiquer que les défenseurs apparens du principe monarchique n’étaient pas fort éloignés de laisser affaiblir ce principe plutôt que d’abdiquer en faveur d’un ordre de choses qu’ils supposaient contraire à leurs intérêts personnels. Ces projets échouèrent devant la ferme attitude de l’héritier légitime de la couronne et devant le bon sens public. Le prince aussi bien que l’immense majorité de la nation comprenaient que leur salut commun était dans la stricte observation de la loi fondamentale du royaume : sur ce point, on ne pouvait faire de concession aux adversaires sans compromettre gravement l’avenir. Aussi tous les moyens termes, tels que partage de la régence, délégation du pouvoir royal, nomination du régent par le roi, furent tour à tour repoussés. Appuyé sur son droit et fort de l’appui de la nation, le prince de Prusse se chargea de la régence, ainsi qu’il le disait dans son rescrit au ministère du 9 octobre 1858, « sur l’invitation du roi et en vertu de l’article 56 de la charte. »

Le principe qui avait triomphé dans cette question capitale devait nécessairement prévaloir aussi dans les conseils du régent. Un nouveau ministère, réunissant quelques-uns des chefs du centre gauche, vint remplacer le cabinet Manteuffel-Westphalen. Sous les auspices de cette administration nouvelle, le pays procéda aux élections générales de 1858. Toutes les nuances de l’opinion libérale se confondirent alors pour assurer le triomphe du ministère sur le parti féodal, car tout le monde sentait qu’à la consolidation du cabinet Hohenzollern-Auerswald se rattachait pour le moment le développement des institutions parlementaires, et la majorité libérale qui siégeait dans la chambre de 1859 était en ce sens une majorité ministérielle. Aujourd’hui la situation n’est plus la même, et les élections de 1861 ont montré le pays presque en désaccord avec le ministère. Le pouvoir et la nation ont-ils changé d’avis sur les grandes questions politiques ? Et quelles sont les causes de ce revirement ? Voilà ce que nous nous proposons d’examiner.


I

Les partis politiques font un peu comme les armées sur le champ de bataille : ils aiment au premier moment à exagérer leur victoire ou à se faire illusion sur leur défaite. Par l’avènement du prince Guillaume à la régence, le libéralisme prussien avait vaincu les hommes du vieux régime ; mais le régime même restait encore debout, et il ne fut modifié que par l’initiative du régent. C’est là une circonstance en apparence insignifiante, mais qui n’en a pas