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incultes, divisées en domaines de 1,250 hectares et au-dessous, sont mises en vente au prix de 15 ou 30 francs l’hectare suivant la nature du terrain, et l’acheteur peut à sa guise les cultiver en coton, en thé, en indigo, en café ou en toute autre denrée. Par une mesure complémentaire, le gouvernement a décidé que les possesseurs d’un fief obéré par l’impôt foncier pourraient le racheter en payant une somme égale à vingt fois l’imposition annuelle. Ces résolutions répondent à des vœux depuis longtemps exprimés, et ne peuvent manquer de donner une grande activité à la production en faisant reposer la propriété sur des bases beaucoup plus solides ; mais le simple paysan ne profitera point de toutes ces modifications, et l’on peut même se demander si l’immigration croissante des Européens attirés par les nouvelles mesures ne contribuera pas à maintenir les pauvres Hindous au rang de simples journaliers. Puisse l’Angleterre, heureuse enfin de ne plus demander au travail esclave son approvisionnement de coton, s’occuper de rendre vraiment libres les cultivateurs qui le lui donnent aujourd’hui ! L’exemple des États-Unis peut lui apprendre que l’intérêt commercial et la justice envers un peuple sujet ne doivent jamais être en désaccord.

Quoi qu’il en soit, les négocians du Lancashire, plus immédiatement intéressés à la matière première de leurs manufactures qu’au sort du ryot, applaudissent aux nouvelles théories économiques professées par le gouvernement indien et se mettent en mesure d’en profiter. Déjà une compagnie cotonnière se fonde au capital de 500,000 livres sterling pour la mise en culture de vastes terrains en friche ; une autre compagnie se charge de faciliter le transport des cotons ; d’autres associations moins importantes, des individus isolés, Anglais, Parsis, Arméniens, Brahmines, ont tourné leurs efforts vers le même but ; les deux cent millions d’habitans qui peuplent l’Inde fourniront un assez grand nombre de bras ; des terrains accessibles et fertiles s’offrent par millions d’hectares dans le Pendjab, le Bengale, le Djittatong, au pied de l’Himalaya, dans les vallées du Nerbudda, du Tapty, du Godavery, sur les plateaux du Deccan. Quant aux frais du transport, ils diminuent constamment, grâce aux chemins de fer construits avec tant d’activité, et l’on a calculé que dans les districts cotonniers du Berar et du Dharar ces frais sont déjà de 50 pour 100 inférieurs à ceux de l’année dernière. Sans nul doute, l’Inde peut facilement exporter toute la fibre textile que réclament les manufactures : pour la production du coton, l’équilibre du monde est définitivement déplacé. Plus tard, il est possible que la colonie indienne entre en concurrence avec la métropole elle-même pour la fabrication, car rien ne peut empêcher