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à recueillir leur héritage. Un grand nombre de noirs échappés des plantations de la Virginie s’embarquent pour la république d’Haïti, où l’on s’empresse de leur accorder des terres. Pendant les trois mois qui viennent de s’écouler, onze navires chargés de nègres émigrés ont quitté les ports de New-York, de Philadelphie et de Boston pour se diriger vers la terre libre des Antilles. À peine débarqués, les nouveaux citoyens de la république nègre s’adonnent à la culture du cotonnier ; ceux qui sont établis sur le territoire de Saint-Marc ont récemment expédié 1,902 balles dans l’espace de quelques semaines, et cette année ils ont plus que doublé l’étendue de leurs plantations. « Pourquoi vous expatrier ? demandait un négociant de New-York à l’un de ces émigrans. — Pour mettre un terme à la domination du roi Coton ! répondit-il. Plus de coton dans Dixie[1], plus d’esclavage ! »

Les Antilles libres ne sont pas les seuls pays du Nouveau-Monde où l’on s’occupe des moyens d’alimenter les filatures. L’Amérique centrale, la Colombie, la République-Argentine réclament aussi l’attention du monde commercial, et l’on parle de l’organisation d’une compagnie cotonnière du Venezuela pour la mise en rapport d’un domaine de 100,000 hectares[2]. Il n’est pas jusqu’aux États-Unis eux-mêmes qui ne s’offrent à combler la lacune produite dans l’approvisionnement du coton par la rébellion des états à esclaves. Un planteur du Maryland a fait à 25 kilomètres au nord de Baltimore des semis de cotonnier arborescent qui ont déjà donné les plus beaux résultats. D’après lui, le gossypium arboreum peut produire jusqu’à 50 kilogrammes de fibres dans une seule année, et ces fibres sont d’autant plus longues et plus fines que l’arbre croît dans une région plus rapprochée de la limite septentrionale de la zone ; quant au bénéfice net, il dépasserait de beaucoup celui qu’obtiennent les planteurs dans les états du sud. En admettant que ces affirmations n’aient rien d’exagéré, la terrible crise qui agite les États-Unis les empêchera sans doute de s’occuper d’une nouvelle culture. Si l’énergie ne leur manque pas pour cette œuvre hardie, l’industrie cotonnière du Massachusetts, aujourd’hui presque anéantie, profitera aussitôt de cette nouvelle source d’approvisionnement, car les industriels yankees n’ont pas en général moins de persévérance que leurs frères Anglo-Saxons du Lancashire.

Dans l’ancien monde, les régions méditerranéennes qui ont fourni à l’Amérique du Nord ses premières semences de coton, et qui longtemps ont suffi presque seules à l’alimentation des filatures de

  1. Sobriquet donné aux états rebelles, sans doute parce qu’ils sont en grande partie situés au sud de Mason and Dixon’s line. On appelle ainsi le degré de latitude 36° 30’ relevé par Mason et Dixon.
  2. On a déjà expédié 800 balles de coton de Puerto-Cabello aux États-Unis.