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sonnans. Ils rappelaient à ce sujet qu’au commencement de la guerre les planteurs, auxquels la voie de la mer était déjà fermée, expédiaient leurs cotons par les chemins de fer de l’Ohio et de New-York, sans trop s’informer s’ils ne procuraient pas ainsi à leurs adversaires une importante source de revenus ; mais dans l’espace de quelques mois les circonstances ont bien changé. Certainement la vue de l’or doit exercer une véritable fascination sur ces hommes dont toute la fortune consiste maintenant en assignats. Néanmoins la guerre, les privations de toute espèce, la crainte de l’avenir, les menaces faites par le nord au sujet de l’émancipation des noirs ont rempli leurs cœurs d’assez de haine pour qu’ils puissent se priver spontanément des ressources obtenues en trafiquant avec l’ennemi. Plutôt que de laisser tomber leur coton au pouvoir des Yankees, ils le détruiront eux-mêmes, ils incendieront leurs plantations de leurs propres mains, et reformeront autour des envahisseurs une nouvelle frontière hérissée de fusils et de canons. Déjà les fédéraux occupent plusieurs points de la côte ennemie, Hatteras, Port-Royal, l’île Tybee, Fort-Pickens ; mais ces points ne leur permettent nullement de communiquer avec les états du sud, et depuis le commencement de la guerre ils n’ont pu encore expédier à New-York qu’une seule balle de coton. Quand même quelques entrepôts, que les sécessionistes n’auraient pas eu le temps d’incendier, tomberaient au pouvoir des troupes du nord, ces entrepôts épars et mal approvisionnés ne pourraient avoir aucune influence sur le marché, et, chose plus grave, de pareilles conquêtes ne seraient point de nature à faire persévérer les planteurs du sud dans la culture du coton.

Qu’on admette cependant l’hypothèse la plus favorable à la cause des confédérés. Qu’on les suppose victorieux, respectés, défendus contre les attaques du nord par une ligne de douanes et de fortifications, par une flotte puissante et l’amitié de l’Angleterre. Malgré leur triomphe, les planteurs cotonniers ne pourront donner à leurs cultures la même importance qu’autrefois, et cesseront d’être les grands fournisseurs des industriels anglais. Ce qui avait assuré le monopole du coton aux états à esclaves d’Amérique, c’est qu’ils pouvaient livrer une balle d’une qualité donnée à meilleur marché que les autres pays producteurs ; mais si le prix de revient des cotons d’Amérique s’élève, le prix de vente augmentera nécessairement dans la même proportion, et les détenteurs ne pourront plus lutter avec avantage sur les marchés d’Europe. Or tel est le résultat que la guerre doit inévitablement produire : elle grèvera la production du coton de frais Supplémentaires qui en rendront la culture ruineuse. Avant l’ouverture des hostilités, les planteurs réalisaient, quoi qu’on en