Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/183

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

point fait alliance avec Charleston ; les états de la Nouvelle-Angleterre, unanimes dans leur patriotisme, ont levé contre le sud une armée de plus de cent mille volontaires ; la France n’est point sortie de son rôle de puissance neutre pour forcer le blocus du Mississipi. Il est vrai que, par suite de l’outrage fait au pavillon du Trent, la Grande-Bretagne se croira peut-être obligée d’intervenir contre les Américains du nord ; mais il est trop tard pour que cette intervention assure la prospérité de la confédération esclavagiste. En dépit du coton sauveur, la lutte a déjà produit des résultats irrémédiables, et l’un de ces résultats est l’abolition du monopole que les planteurs cotonniers d’Amérique exerçaient sur les marchés du monde.

Chose remarquable, comme si la terre elle-même s’était lassée de sa longue complicité avec les propriétaires d’esclaves, la récolte de 1860, expédiée immédiatement avant la guerre civile, a été inférieure d’un million de balles à celle de l’année précédente, elle n’a pas même égalé celle de 1858 ; mais, si considérable qu’il fût, ce déficit n’était point de nature à effrayer le commerce, et les 3 millions de balles que l’Europe reçut des planteurs pouvaient, avec la balance restée dans les entrepôts et le supplément de coton importé des Indes et d’autres pays, abondamment subvenir à l’alimentation des filatures. Aujourd’hui ce ne sont plus seulement les intempéries de l’air qui menacent la récolte : la guerre amène avec elle tout un cortège de lois économiques auxquelles les planteurs doivent nécessairement céder, et qui tendent sans exception à réduire la production du coton. Aussi longtemps que durera la lutte entre les deux moitiés de l’ancienne république américaine, l’importance de la récolte annuelle diminuera, et dans l’espace de quelques saisons elle peut devenir relativement insignifiante. Déjà cette royauté conférée par le coton à ses heureux possesseurs s’est entièrement évanouie ; malgré les richesses accumulées dans leurs habitations, les planteurs n’en sont pas moins réduits à la gêne la plus cruelle.

C’est dans la guerre elle-même qu’il faut chercher la première cause de la diminution inévitable des futures récoltes du coton. L’armée d’au moins trois cent mille hommes qu’a levée la confédération du sud se compose en grande partie de propriétaires d’esclaves. Il n’est probablement pas une seule famille de planteurs qui n’ait envoyé à la guerre un ou plusieurs de ses membres, et en certains districts les économes seuls sont restés sur les habitations. C’est là ce qui fait la force de l’armée du sud : tous ses officiers ont l’habitude du commandement, et savent, aussi bien que dans la vie civile, se faire respecter au camp et sur le champ de