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LE
CAPITAINE ROBINSON
RECIT DU CAP HORN


I

C’est un curieux spectacle que celui d’une baleine qui prend ses ébats au milieu des vastes solitudes de l’Océan. Émergeant du fond des abîmes, l’énorme cétacé montre au-dessus des flots son dos fauve, sur lequel des algues ont pris racine comme sur un rocher. Il agite brusquement ses nageoires, s’élance en avant, et du milieu de son front jaillit, pareil à une trombe, un jet d’eau que le vent disperse au loin comme un brouillard illuminé des couleurs changeantes du prisme. Après avoir ainsi respiré, la baleine ouvre sa gigantesque bouche, dans laquelle se précipitent en masse, entraînés par une puissante attraction, les petits poissons qui servent à nourrir ce grand corps. Du haut des airs accourent avec des cris plaintifs les goélands et les damiers qui s’en vont, d’une aile inquiète, demander aux flots une pâture incertaine. L’apparition du géant des mers leur a révélé la présence de ces bancs de poissons qui voyagent en troupes serrées et exécutent à des époques fixes de mystérieuses migrations. L’albatros, — que les anciens navigateurs nommaient « le mouton du cap Horn, » — môle son bêlement étrange aux assourdissantes clameurs de ses congénères : paresseux et glouton, il réclame sa part du festin. Ainsi escortée par les oiseaux aux pieds palmés qui se plaisent au sein des tempêtes, la baleine poursuit sa marche ; mais, toute-puissante qu’elle soit, elle n’ignore pas que des ennemis redoutables s’acharnent à sa poursuite. Prudente