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timidité, à je ne sais quel esprit de bienséance cérémonieuse qui s’est introduit dans l’église même, et qui a persuadé à quelques-uns qu’on ne pouvait pas plus juger ce qu’on révère que comprendre ce que l’on croit.

Lors même qu’elle ne s’adresserait pas à l’imagination et qu’elle ne tenterait pas de faire pour la primitive église ce qu’avec la plume d’Augustin Thierry elle a fait pour le moyen âge, la critique historique a toujours cet avantage de rendre intelligible et conséquent ce qui sans elle ressemble à une fantasmagorie sans réalité. Ainsi, en l’appliquant à la formation et aux progrès de la théologie chrétienne dans le siècle apostolique, M. Edouard Reuss ne s’est pas proposé de vous jeter dans le drame des événemens ; c’est moins un récit que des considérations sur le récit qui composent son ouvrage. Et cependant en le lisant on peut ne pas adhérer à toutes ses conclusions, on peut ne pas entrer dans toutes ses vues ; mais on ne peut méconnaître, dans ce tableau de la manière dont notre religion s’est constituée en doctrine, un aspect de vérité ou plutôt de vraisemblance qu’on chercherait vainement dans ces suites d’assertions et de faits également inexpliqués, dans cette chronique aride et mystérieuse qu’un respect superficiel s’efforce de travestir en légende. On croit pénétrer avec l’auteur dans l’âme des apôtres, dans celle de leurs disciples, dans les dispositions et dans les préjugés des masses, et comprendre comment le souvenir des enseignemens du Christ, éclairci par l’expérience, commenté par les événemens, s’est peu à peu transformé en une théorie didactique qui s’est jointe dans les premiers docteurs à cette conscience morale d’une nouvelle vie, la base et le début du christianisme. L’auteur, qui est professeur au séminaire de Strasbourg et familiarisé avec les formes de la science allemande, ne cherche pas assurément l’effet dramatique ou pittoresque, et cependant son ouvrage est plein de vie. L’écrivain ne s’écarte guère du style de la dissertation. Il écrit comme s’il parlait dans la chaire enseignante, il entremêle les recherches avec les réflexions et les vues historiques avec la discussion des témoignages, et pourtant de cet assemblage, d’abord un peu confus, ressort pour un lecteur attentif un jour nouveau qui donne du relief et de la couleur aux hommes et aux choses. Ils sortent du royaume des ombres, ces êtres intéressans ou sublimes, confondus jusqu’ici dans les limbes de l’histoire. Paul, Jean, Etienne, Pierre, Jacques, se distinguent, se caractérisent, et leur nature ou leur situation donne la clé de ce qu’ils ont fait. Encore une fois, il faudrait beaucoup de science pour prononcer sur le fond systématique de l’ouvrage de M. Reuss, quoiqu’un ignorant même ne puisse fermer les yeux à la clarté de certaines explications, et qu’il ait par exemple