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terre. Le récit et le contrôle des faits, l’étude attentive de l’état des esprits, de leurs révolutions, de leurs réactions, l’analyse des croyances, des mœurs et des doctrines, qui tantôt concoururent, tantôt se combattirent, l’examen libre des caractères, enfin, planant sur le tout, l’application courageuse de la critique — cette méthode presque nouvelle, ou dont notre siècle est la renaissance, rend aux premiers âges de la foi un intérêt, une vérité, une vie, qui manquent dans cette manière abstraite et officielle de raconter le christianisme qui a trop longtemps prévalu. En France et par conséquent parmi nos écrivains catholiques, la plupart se sont trop habitués, par routine ou timidité, à étendre sur toute cette grande entreprise qui visait au salut du monde le vernis d’une incolore uniformité qui ôte à toutes choses, avec l’attrait dramatique, le naturel et la vraisemblance. À l’exception de l’éminent ouvrage de M. Albert de Broglie, on ne peut guère citer de composition religieuse où les événemens de l’histoire ecclésiastique soient présentés comme quelque chose de réel. Il semble qu’on ait craint de supposer que ce soient des êtres de chair et de sang qui ont, avec toutes les passions, toutes les faiblesses, toutes les grandeurs de l’humanité, accepté, repoussé servi, combattu, propagé, redressé les croyances qui, dans leurs transformations successives, règnent encore sur près de la moitié de la terre. Le fondateur lui-même, en s’appelant le fils de l’homme n’avait-il donc pas, pour ainsi dire, humanisé son œuvre et fait descendre l’esprit de Dieu du ciel sur la terre ? On ne sait pas à quel point les récits de l’Écriture s’animent sans s’abaisser, s’éclairent sans s’amoindrir, lorsque, sans crainte de les profaner, on les soumet à la loi des causes et des effets. Il semble que notre expérience des choses humaines enseigne aux contemporains de nos révolutions comment les faits ont dû se passer. Cette phraséologie banale qui efface tout, qui confond tout, qui traite les premiers chrétiens comme des êtres de convention chargés d’un rôle obligé, instrumens passifs d’une volonté toute-puissante, donne à une histoire pleine d’imprévu un air de conte oriental ou tout au plus de tragédie classique, où tout est appris et récité, où rien ne vit, rien ne respire, où il n’y a que des personnages et jamais des hommes. Cette fausse manie de jeter un voile de monotonie sur tout et jusque sur l’Evangile a contribué assurément à produire à certaines époques cette froideur inintelligente, cette indifférence d’abord respectueuse, bientôt dédaigneuse, qui s’est tournée, par exemple au dernier siècle, en incrédulité railleuse et en frivole persiflage. Il semble qu’on y retrouve quelque trace des anciens défauts de notre goût littéraire, et souvent de l’insignifiance de notre étiquette monarchique ; mais il faut bien s’en prendre aussi à je ne sais quelle