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nous dit qu’il fut transporté sur une montagne d’où il put voir tous les royaumes de ce monde ; or cette montagne n’existe pas et n’a jamais existé : c’est donc ici une hyperbole pour désigner quelque hauteur d’où l’on voyait une partie des petits royaumes de la Palestine, ou une métaphore pour exprimer comment toutes les grandeurs du monde peuvent être mises sous les yeux de l’âme par cette sorte de mauvais génie qui nous obsède.

C’est en dire plus qu’il ne faut pour prouver que la doctrine de l’inspiration infaillible laisse subsister dans l’Écriture tant de causes d’erreur, tant de difficultés et d’obscurités décevantes, que le plus convaincu de la divinité du témoignage ne pourrait encore s’y abandonner avec une entière sécurité, et que la foi, en tant qu’elle implique une certaine connaissance des choses invisibles, ne découle pas comme une conséquence pure et simple de la lecture de la Bible. Puisque nous y trouvons tant d’ambiguïtés, tant de points qui mettent notre jugement en balance, comment ne pas reconnaître que nous aurions besoin de l’inconnu que l’Écriture nous refuse pour bien comprendre le connu que nous lui devons ? Ce que nous savons par elle est encore si obscur que nous ne pouvons être certains que notre manière de la concevoir et de l’expliquer soit pleinement d’accord, avec les vérités que nous ignorons, et ne serait pas subvertie ou modifiée, si nous venions à les connaître. Voilà pourquoi humainement parlant, c’est-à-dire si l’on n’est éclairé d’une manière surnaturelle, un scepticisme inévitable pèse sur l’intelligence mise toute seule en présence de la révélation biblique.


III

C’est ici que se montre cette sagesse pratique qui a si longtemps caractérisé l’église romaine. Cette lumière surnaturelle, elle nous l’offre. Entre l’Écriture et nous, elle place une interprétation qui est la tradition, un interprète qui est elle-même. L’inspiration scripturale, quoique surnaturelle, était un miracle insuffisant pour engendrer l’infaillibilité ; mais elle est doublée d’un autre miracle, l’inspiration de l’église. Les deux miracles se complètent et se garantissent l’un l’autre. Si vous croyez à tous deux, vous dormez en paix. Vous ne possédez pas toute la vérité, vous ne la possédez peut-être pas sans erreur ; mais qu’importe ? Vous êtes à la source, et vous n’avez qu’à vous incliner pour y puiser. Dans les catacombes de Rome, parmi les rares emblèmes chrétiens qu’un crayon novice osait y tracer, on en voit un qui se représente plus d’une fois : c’est Moïse frappant de sa verge le rocher d’où jaillit une eau vive, et tout indique que cette image désigne l’ouverture de la source de la foi et, selon tous les interprètes, la fondation de l’église. Oui, l’église