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Le but de l’écrivain sacré n’est pas évidemment un enseignement doctrinal. Il s’adresse à l’imagination, au cœur, à la conscience ; il ne cherche pas précisément à convaincre l’entendement. Il serait certainement facile d’imaginer, et on l’a tenté dans toutes les églises, une manière de révéler soit l’existence de la Trinité, soit la présence réelle dans l’eucharistie, qui eût coupé court à toute dispute entre les chrétiens. Or il n’en est pas ainsi, et les théologiens en donnent plusieurs raisons ; mais le fait n’est contesté par aucun, et nulle église n’en est plus persuadée que la nôtre, puisqu’elle met en garde contre la lecture de la Bible, si l’on n’y est bien préparé, ou même si l’on ne s’y aventure dans la compagnie d’un bon guide. On approuve à Rome cette pensée du comte de Maistre : « Lue sans notes et sans explications, l’Écriture sainte est un poison. »

Une telle énormité ne convient qu’aux esprits sans mesure et sans scrupule, et nous n’allons pas jusque-là ; mais nous disons qu’indépendamment de l’insuffisance radicale du langage humain, la diction biblique, même évangélique, n’évite nullement des tours, des mots et des tropes qui peuvent aisément engendrer l’erreur dans un esprit que n’en préserve pas une instruction solide ou une ferme raison. L’Écriture ne s’interdit point l’équivoque, l’hyperbole, la métaphore, enfin des moyens de style qui peuvent plaire, qui produisent même des beautés littéraires, mais dont l’emploi n’est pas moins une concession à l’infirmité de l’esprit humain.

Saint Pierre a dit : « En toute nation, celui qui craint Dieu et qui pratique la justice est agréable à Dieu. » Si ces belles paroles, séparées des circonstances dans lesquelles elles ont été prononcées, étaient prises dans leur sens le plus simple et le plus général, elles ramèneraient la révélation à la religion naturelle. Or comme elles ne peuvent avoir cette portée, il faut bien qu’elles soient enveloppées d’une certaine ambiguïté, et ne doit-on pas l’attribuer moins à un défaut de justesse d’esprit dans celui qui les a écrites qu’à l’imperfection radicale tant de la pensée que du langage ?

Je n’oserais dire, quoique ce soit l’avis de beaucoup de théologiens, qu’une certaine obscurité a été laissée à dessein sur de certaines vérités, souvent les plus hautes et les plus importantes. Dans ce cas, l’équivoque ne serait nullement une faute de style ; elle serait la preuve d’un art dont le secret m’échappe et dont je n’oserais approfondir les raisons. Pourtant qu’elle s’y rencontré, et qu’elle couvre d’un nuage les dogmes les plus augustes, c’est ce que prouvent dix-neuf siècles de discussion sur les mêmes passages. Je suis loin de contester que la divinité du Christ ou la notion correcte de l’eucharistie se trouve dans l’Évangile ; mais nier que des hommes intelligens et sincères n’aient pas su l’y voir serait manquer soi-