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l’esclavage du sud et les décrets contre la presse relative aux esclaves. Le crime des propriétaires d’esclaves en Amérique comme voleurs des labeurs de leurs esclaves, comme leurs meurtriers, en hâtant leur mort par un travail excessif, par la privation de nourriture, par les châtimens, comme corrupteurs de leur moralité, me semble plus atroce encore que dans les îles, car il est moins justifié par le climat et la nature de l’industrie. Par tout le monde, les gouvernemens s’efforcent d’amoindrir les horreurs de l’esclavage, et seules les libres provinces de l’Union accroissent ces horreurs autant par le nombre des victimes que par l’atrocité de la législation. »

Ces libres provinces sont-elles donc toutes coupables ? N’en est-il pas une seule qui puisse échapper à l’invective du publiciste ? Non, pas une seule. Au point de vue où se place Sismondi, aucun des états de l’Union ne saurait être complètement absous. Ce n’est plus aux lois qu’il s’en prend, c’est aux mœurs elles-mêmes. À quoi bon condamner l’esclavage, si, dans la pratique de la vie, vous maintenez tous les préjugés, toutes les exclusions, c’est-à-dire en définitive toutes les théories odieuses sur lesquelles est fondé l’asservissement de vos frères ? — Si dévoué que fût Sismondi aux doctrines qui consacrent la liberté individuelle, quelle que fût son horreur pour cette égalité menteuse ou plutôt pour cette promiscuité dont le despotisme fait si bien son profit, il était trop religieusement humain, trop philosophiquement chrétien, pour ne pas maudire l’esprit de caste. Voyez ici le généreux libéralisme de la France essayant de redresser, par la voix de Sismondi, le libéralisme dédaigneux de la race anglo-saxonne : « Les états du nord où l’esclavage est proscrit sont loin pourtant d’être à l’abri du blâme. Dans aucun d’eux, l’homme de couleur libre n’est traité en égal par les blancs ; dans aucun d’eux, l’affront de l’exclusion ne lui est épargné ; il est repoussé de l’amitié, des salons, de la table de ses frères. Nulle part on n’a essayé de l’élever d’abord par l’éducation, puis par l’élection aux premiers rangs de l’état, au siège du juge, au banc de l’assemblée, au congrès, et pourtant accorder des honneurs aux individus peut seul relever la race. Peut-être dans un état démocratique n’y a-t-il que les instituteurs religieux qui puissent influencer les sentimens et les préjugés populaires. Aux États-Unis, vos pasteurs s’acquittent-ils de ce devoir par la prédication et par l’exemple ? Le clergé catholique l’a fait, non pas constamment, non pas généralement, mais sur une grande échelle du moins, et dans tous les pays où l’esclavage existait en Europe. Il le fait dans ceux où il existe encore et le poursuit incessamment dans les colonies catholiques de l’Espagne et du Portugal. L’église, intolérante pour tout ce qui est hors de son sein, exerce du moins une fraternité véritable à l’égard de tous les fidèles. On doit rendre la même justice