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de ses ennemis. L’invective est son triomphe, comme elle est aussi celui du barde. Il aime à menacer, à maudire, et rien n’apaise son âme lorsqu’une fois elle est mise en mouvement, si ce n’est l’épuisement de sa propre colère. Lorsqu’il s’arrête, c’est faute de souffle, non de bonne volonté. Un seul exemple suffira. Voici le premier aspect que l’enfer découvre à ses regards lorsqu’il a franchi la rivière où les âmes damnées sont purifiées de leurs dernières parcelles de bien :


« Quelques-uns des damnés se seraient volontiers cachés au fond de la rivière, et auraient volontiers consenti à y demeurer toute l’éternité dans l’état d’étouffement, par crainte de trouver un lit pire que celui-là ; mais je vis alors se vérifier le proverbe qui dit : « Celui-là que le diable poursuit doit nécessairement courir, » car, ayant les diables à leurs trousses, les damnés étaient obligé d’aller de l’avant sur le rivage vers leur éternelle damnation. Alors, dès le premier regard, je vis plus de souffrances et plus de tourmens que le cœur de l’homme n’en peut imaginer, et sa langue en rapporter, des tourmens dont un seul suffirait pour faire hérisser les cheveux, pour glacer le sang, dissoudre la chair, et enfin faire évanouir l’âme elle-même. Qu’est-ce qu’être empalé ou scié vivant, qu’est-ce qu’avoir la chair arrachée morceau à morceau par des pinces de fer, ou être brillé lentement avec des chandelles, à la manière des grillades, ou avoir la tête écrasée dans une presse à vis, en comparaison d’un seul des tourmens que je vis ? Un pur divertissement ! L’on entendait une symphonie composée de plus de cent mille hurlemens, grognemens profonds, rauques soupirs, à laquelle répondaient plus loin de tumultueux gémissemens et d’horribles clameurs, et l’aboiement d’un chien est une musique douce et délicieuse comparé à ces bruits. Lorsque nous nous fûmes éloignés un peu plus du rivage maudit, j’aperçus à la propre lumière qui les environnait des hommes et des femmes en quantité innombrable, et des multitudes de diables sans repos employaient incessamment toutes leurs forces pour les faire souffrir. Oui, ils étaient là pêle-mêle, les diables et les damnés, les diables rugissant sous la douleur de leurs propres tourmens et faisant rugir les damnés par les souffrances qu’ils leur infligeaient. Je fis plus particulièrement attention au coin qui était le plus près de moi. Là je vis les diables avec des fourches qui lançaient les damnés en l’air de manière qu’ils retombassent à plat, sur des flèches empoisonnées ou des piques barbelées, et qu’ils s’y déchirassent les entrailles. Puis les misérables rampaient comme des vers mutilés les uns sur les autres, et s’avançaient ainsi vers le sommet d’un des rochers brûlans pour s’y faire rôtir comme de la chair de mouton ; ensuite ils étaient retirés du feu et déposés sur le sommet d’une montagne couverte de glaces et de neiges éternelles, où ou leur permettait de se rafraîchir en gelant pendant quelque temps ; de là ils étaient précipités dans un étang infect de soufre bouillant, où ils étaient roulés dans le liquide brûlant et suffoqués par son horrible vapeur. De l’étang de soufre ils étaient conduits au marais de l’enfer, afin d’y embrasser des reptiles mille fois pires que les serpens et les vipères, et d’y être embrassés par eux, et après qu’on