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et chacune l’aura entendu dire à Quelqu’un, mais personne ne sait qui. N’est-ce pas une honteuse condition ? Soyez donc assez bon pour croire, lorsque vous m’entendrez nommer, que je n’ai jamais dit aucune de ces choses, que je n’ai jamais inventé et propagé de mensonges pour calomnier qui que ce soit, et que je n’ai jamais arrangé d’histoire pour mettre les parens aux mains ; dites-leur que je ne me mêle pas d’eux, que je ne sais rien de leur vie, de leurs affaires et de leurs maudits secrets, et qu’ils, feront bien à l’avenir d’attribuer leurs mauvaises actions à leurs esprits pervers et de ne plus les mettre sur mon compte. »


L’humour d’Elis Wyn, on le voit, est de même trempe que son éloquence. Il est net, austère, honnêtement facétieux, sans caprice et sans fantaisie. Le ministre gallois est presque entièrement dénué de poésie, rarement il rencontre un rayon de grâce, et il n’arrive à l’imagination que par la véhémence morale. Cependant il y a dans la seconde de ses visions, celle du pays de la Mort, plusieurs traits vraiment beaux, poétiques et pittoresques, que tout artiste serait fier d’avoir trouvés, et qui nous ont fait accidentellement penser à Goya. Il est possible que l’honneur de ces quelques notes de sombre rêverie revienne à l’auteur espagnol qui lui a servi de module, car elles ont ce puissant mauvais goût semblable à la force des rêves malfaisans qui caractérise l’imagination des Espagnols lorsqu’elle s’empare d’un sujet lugubre. Quelques-unes de ces pages sont pour ainsi dire humides des vapeurs pestilentielles du tombeau. Par derrière les faubourgs de la ville de la Perdition s’étendent les états de la Mort, marais fétides éternellement enveloppés d’un fog épais, percé par accident d’une lumière sale qui montre des ombres grisâtres courant en apparence les unes après les autres sur un sol de boue. C’est la terre de l’Oubli, et on y entre par mille petites portes étroites et basses. Ces portes sont gardées par une multitude de petites morts, nains malfaisans, grooms sinistres qui servent sous les ordres de la grande souveraine, et dont chacune porte un nom propre, une livrée et des armes particulières. Elis Wyn décrit l’arrivée des morts à ces portes, et sa description, brève, concise, laisse le frisson que donnerait l’entrée dans un cachot qu’on sentirait fermer par derrière soi. Là se rencontre une ligne d’horrible poésie qui vaut la peine d’être détachée. « J’eus à peine le temps de m’informer ; quelques-unes de ces personnes criaient, d’autres pleuraient, d’autres grognaient : plusieurs prononçaient des paroles de délire ou proféraient des blasphèmes d’une voix faible et qui s’évanouissait pour ainsi dire ; d’autres paraissaient en proie à une laborieuse souffrance, comme si elles étaient travaillées de l’effort de vomir leur âme. » Au-delà de ce vestibule s’élève le palais de la Mort, palais sans toiture, toujours en ruine et toujours en