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et le lecteur qui ouvrirait son livre dans l’espoir d’y trouver quelque révélation nouvelle sur le monde invisible, et d’y compléter l’instruction mystique qu’il a acquise dans les œuvres des voyans véritables, depuis Dante jusqu’à Swedenborg, courrait risque d’être déçu. On pourrait recommander ce livre à ceux qui ne savent pas faire la différence entre le génie et le talent et qui croient que l’un suppose nécessairement l’autre. Elis Wyn n’a pas un atome de génie, mais il a un talent véritable et possède certaines parties de l’artiste. Les descriptions du ministre gallois sont d’une précision, d’une netteté et d’une fermeté rares. On a rappelé à son sujet le nom d’Hogarth, et ce rapprochement n’a rien d’exagéré. Tous deux regardent l’univers avec les mêmes lunettes, des lunettes de sectaire protestant, qui décolorent les objets, les séparent de l’atmosphère de la nature et éteignent autour d’eux toute lumière. L’humanité leur apparaît sous le même aspect, un aspect noir, sec, grimaçant, bizarre et compliqué. Pour tous deux, le monde social est une immense taverne coupée en compartimens infinis qui ne diffèrent entre eux que par la plus ou moins grande abondance des dorures et des lustres, une taverne présidée par le policeman et le bourreau. Pour tous deux, le monde moral se divise en trois régions : la salle d’un lord-maire céleste où sont appelées à un banquet éternel les personnes de vie respectable et d’honnêtes mœurs, un Bedlam divisé en étroits cabanons noirs et infects, et un immense Newgate dont aucun charitable John Howard ne viendra visiter et assainir les cellules. Tous deux sont également pharisaïques, pleins de cant sincère, de sécheresse morale, d’honnête hypocrisie, de dureté légale. La grande idée de la mort et du jugement préside également à leurs conceptions ; mais elle a perdu toute noblesse et toute grande poésie, et s’est rapetissée à une préoccupation mesquine qui produit la désagréable impression d’une manie lugubre. Vous vous rappelez cette planche bizarre et de difficile interprétation du Mariage à la mode où l’on voit une personne du monde le plus élégant, parée comme pour un bal ou un jour de réception, ouvrir l’armoire d’un appartement somptueusement meublé et reculer en apercevant un squelette humain collé contre le mur ? Telle est à peu près l’impression que laisse le tableau du monde tracé par le ministre gallois. Tous deux enfin, Elis Wyn et Hogarth, ont le même cynisme vertueux ; ils disent et montrent tout sans égards et sans ménagemens, non, comme les hommes de génie, par liberté et franchise de pensée, mais comme d’honnêtes bourgeois chez lesquels la préoccupation de la respectability a tué tout instinct de charité. Elis Wyn pas, plus qu’Hogarth ne recule devant un tableau repoussant dès qu’il s’agit d’inspirer l’horreur du vice : il montre le fard